Elle encombre autant nos esprits que nos routes. Elle se réinvite perpétuellement dans nos vies. Pour preuve, la quotidienne litanie des temps d’attente au carrefour Léonard ou le ring obstrué par la convergence de toutes nos libertés individuelles.
La timide gestion de la place de l’automobile par les pouvoirs publics est une source de tension sociale. Riverains aphyxiés, diminution de l’espérance de vie, 4 morts par jour sur les routes belges, architecture urbaine morcelée et tributaire de chaussées dessinées pour l’auto. Pas question pour autant de toucher à la voiture de société !
Alors comment ne pas tourner en rond ? Comment articuler liberté individuelle et bien-être collectif ?
D’abord en ne limitant pas les débats. Ainsi celui entre l’utilisation du diesel et de l’essence[i]. Débat finalement aussi médiatisé que contingenté : on a l’impression que le choix se fait entre la peste et le choléra. Surtout, si l’on considère en plus l’impact sur le climat par la production de gaz à effets de serre. Certains ont même considéré que cette « campagne » pour l’essence était finalement fallacieusement amenée, parce qu’en fait, il s’agissait de répondre à des problèmes de capacités de raffinage : ramener la proportion entre essence et diesel à un niveau calqué sur celui de la production industrielle[ii].
Pourquoi ne pas élargir le champ de discussions qui portent rarement sur le coût du changement pour passer du diesel à l’essence ? Considérons aussi l’énergie grise nécessaire pour produire tous ces nouveaux véhicules, tout en sachant que les anciens continueront à tourner. Sans insister non plus sur le fait que les nouveaux véhicules sont généralement plus grands, plus puissants que les précédents.
Et les discussions portent encore plus rarement sur le type de véhicule et sur l’opportunité de son choix . Tout à l’électrique prôneraient certains, alors que nous devrions réaliser qu’avancer dans cette direction ne peut se faire qu’avec précaution[iii]. Ce serait pourtant l’occasion de changer notre manière de voir. Ainsi en 2014, naît l’idée de la LISA Car[iv] : light and safe car, voiture légère et sûre. En lançant ce nouveau concept, la Fédération Inter-Environnement Wallonie (IEW) et l’association Parents d’enfants victimes de la route (PEVR) avaient pour objectif de sensibiliser le monde politique à la nécessité de limiter certaines caractéristiques fondamentales des voitures pour en réduire l’impact sur la sécurité routière et sur l’environnement[v].
On en est loin , les constructeurs réinventent par la publicité de nouveaux désirs et créent de nouvelles paranoïas. Ainsi la nouvelle pub Mitsubishi : « La Belgique compte près de 62.700 km de routes dans un piteux état avec d’innombrables nids de poule, crevasses et affaissements. Cela coûte chaque année très cher à l’automobiliste belge. Heureusement, Mitsubishi construit de robustes SUV qui résistent à toutes les épreuves. Même les routes belges ». Ou comment vendre un SUV à ceux qui n’en n’ont pas besoin. Mais dans un monde incertain et perçu comme dangereux , l’idée d’une lourde coque de protection supplémentaire semble séduire si l’on en croit les ventes.
On pourrait en rire mais il y a dans cette confrontation entre désirs individuels de liberté, savamment entretenus, et souhait de protection environnementale et sociale un affrontement tragique qu’il faudrait dénouer. D’abord en liant les problèmes et en les expliquant même s’il est fatigant de lire et de réfléchir. Ensuite en prenant des mesures publiques contraignantes : si la pub Mitsubishi devait être taxée à hauteur des dégâts sociaux et environnementaux qu’elle engendre, pas sûr qu’on la reverrait. De plus, elle désigne aussi l’ennemi : les pouvoirs publics qui laissent nos routes à l’abandon (ce qui est faux lorsqu’on voit les sommes investies) alors qu’on taxe tant nos carburants et nos SUV…
Que le pouvoir public retrouve sa dignité en veillant avec détermination et équité à l’intérêt collectif. Cela suppose sans doute une plus forte intervention dans les normes imposées, mais aussi une réelle déconstruction du mythe de la voiture dans notre culture. Cela passe par l’éducation, mais aussi par des mesures concrètes, comme l’interdiction de la publicité non informative pour les véhicules, à l’instar de ce qui se fait pour les cigarettes.
Il est temps d’agir pour qu’on puisse encore rouler comme dans les pubs, dans des horizons élargis, oxygénés et lumineux.
Avec le collectif Calvin & Hobbes
Post-Scriptum en complément: L’utilisation de la voiture a un coût environnemental. Sa présence constante a eu d’énormes conséquences en termes d’aménagement et de fonctionnement de nos sociétés. La place qui lui est accordée, particulièrement dans l’espace publique est totalement disproportionnée. Elle a conduit à des erreurs fondamentales d’organisation tant spatiale que sociale dont nous payons déjà les conséquences, qui vont du grignotage du territoire à la persistance ou au renforcement des comportements agressifs ou machistes[vi]
[iii] Mais penser que nous pouvons procéder à l’électrification rapide de véhicules qui conserveraient les mêmes caractéristiques de nombre, de masse et de puissance, en conservant une mobilité en voiture équivalente à celle que nous avons maintenant (15.000 km par an et par voiture pour les véhicules particuliers), est par contre une ’solution’ qui au mieux ne fait que déplacer le problème initial, sans le résoudre, et au pire le renforce, parce que nous ne préparons pas notre société industrielle à une baisse des flux pourtant difficilement évitable, pensant que la technique arrivera à temps pour résoudre le problème.
[iv] Le Sénat recommande d’investir massivement dans le développement des alternatives comme :[..] les voitures plus légères, moins puissantes, moins agressives et meilleures pour l’environnement et la sécurité routière, comme la LISA Car (Light and Safe Car)...