Remarque : Voici le second texte inspiré par notre voyage à Nice. Voyez pour plus de détails Nice ne sent ni la rose, ni le mimosa. J’ai commencé cette chronique en partant à Nice. Je la termine près d’un mois après.
J’avais laissé « Les petits plaisirs de la vie » sur mon bureau à l’intention d’une amie qui gardait notre maison lors de notre voyage. Là, dans le train, j’ai commencé « Aventures d’un gourmand vagabond »[1] de Jim Harrison. Cela semble le texte idéal pour traverser la France et commencer une chronique sur la nourriture. [J’ai terminé le livre de Jim Harrison pendant le voyage. Je le recommande, mais n’en abusez pas. Comme c’est un recueil de chroniques, j’en recommande la lecture d’une à deux maximum par semaine. A défaut, c’est l’indigestion carabinée]
Cela commence bien la bouffe, avec les sandwiches ferroviaires de deux épouses en goguette, devant nous, qui s’échangent Gala, Points de Vue, des biscuits Mikado et de la salade verte. Rien à voir avec nos casse-croûte à l’omelette et au fromage. La gastronomie ne s’accommode pas de la vitesse (nous sommes dans un TGV), mais entre un machin aseptisé sous cellophane et un pain artisanal, il n’y a pas photo. Elles sont loin de toute façon les odeurs de jambon et d’œufs durs. Ils sont loin les bruits de la fillette que l’on débouche et de mastication de plaisir. J’ai connu cela dans le temps entre Paris Austerlitz et la Touraine quand je rendais visite à mon grand-père. Pendant ce temps-là, Jim Harrison parle de cuisiner sa vie.
Nous nous détendons de la fatigue du voyage en nous promenant dans le vieux Nice. Trouver de quoi nous sustenter. Quant à voyager, autant manger local, mais toutes les adresses renseignées par notre guide sont fermées ou ont disparu. Nous cherchons un restaurant qui n’ait pas l’air d’une arnaque à touristes. Pas évident. Nous pourrions nous croire à la rue des Bouchers à Bruxelles. Mais les retapeurs moustachus font place ici à des pouliches habillées près du corps qui minaudent en vous susurrant « Bonsoir ». Cela me rappelle les « Tu viens chéri » du Quartier des Halles à Paris, il y a bien des années. Dans une petite rue étroite, nous découvrons un établissement si pas typique, au moins italien et comme Nice fut italienne, nous nous régalons de pâtes aux piments et de la conversation des serveurs cordiaux, mais « chauvinement » niçois. Nous avons fini la soirée le cul sur les galets à écouter la mer rouler sur les cailloux. Romantique, mais ce n’est pas ce soir qu’on connaîtra la gastronomie du coin.
En route pour Digne, sur les traces du commissaire Laviolette (on y reviendra dans une prochaine chronique), à travers les gorges du Gard. C’est beau, très beau. Mais à Digne, je m’indigne[2]. Parce que le ventre presse un peu, il semble impossible d’échapper encore ici à l’international de la bouffe : pizza trop lourde ou chinoiseries grasses. La même indigence. Ou alors des adresses hors de la portée de notre portefeuille. Nous pouvons toujours nous rabattre sur les fruits (d’importation), le fromage de chèvre (en cherchant bien, on en trouve un du coin) et les tomates confites (de je ne sais où). Quel malheur pour le voyageur épisodique (et atypique) que je suis. Les marchés regorgent de victuailles, mais il faut chercher pour trouver un saucisson ou un fromage du cru. Il y a des dizaines d’établissements de bouche, mais qui ne déboucheraient souvent que sur des mauvaises expériences gastronomiques ou pécuniaires.
Puis, il y eut Saint-Michel-L’observatoire et la cuisine d’Yvan[3]. Il travaille dans l’art, l’art de la cuisine simple et de la conversation. La table d’Yvan est une table de partage de saveurs et d’idées.[4] Le parfum des pommes de terre au fenouil ou des poissons grillés, de l’ail et du fromage se mêlent aux mots pour donner un sens au voyage.
Mais pourquoi parler autant de la nourriture.
La nourriture, tel que la célèbrent parfois ou souvent Jim Harrison ou Jean-Luc Petitrenaud, pas celles des grands restaurants, mais plus celle des terroirs, comme ARTE la présente, la bouffe devrait être simplement un élément important de notre vie.
Celle faite avec des produits du coin, celle qui fait que le monde n’est pas totalement uniforme, que les parfums de nos cuisines sont différents, même si nous utilisons les mêmes recettes. Celle qui fait que nous nous rassemblons autour d’une table pour un ragoût de légumes, un saucisson ou une salade liégeoise. Celle qui a gardé le lien avec la terre et qui en crée entre les hommes. Celle qui mérite qu’on la respecte et pas que nous la foutions à l’égout. Certains dans le monde en manquent, cruellement, ailleurs ou chez nous. D’autres, dans nos pays en sont coupés, détachés, ignorants ou n’accordent leur attention qu’à la grande cuisine. Nous nous sommes mis à manger, souvent sans plaisir, une cuisine universelle et uniforme où sont gommées les différences culturelles. Cette mondialisation du goût en marche depuis des décennies fait peu à peu disparaître ces différences qui font la richesse humaine. Une nourriture déconnectée de son terroir qui fait des milliers de kilomètres avant de pauvrement nous rassasier.
Quand dans certaines parties du monde, la part du budget consacrée à la nourriture est importante, en Belgique, elle est royalement d’une dizaine de pour cent.[5] Et si cela pose un problème aux plus démunis, pour l’essentiel d’entre nous, quand nous nous plaignons de la montée des prix des produits alimentaires, toute relative, c’est parce que nous devrions peut-être y consacrer un peu plus de notre argent, et donc autant de moins pour un écran plat, un voyage sans saveur ou autre truc à jeter. Alors, parler de nourriture ne doit pas être systématiquement vu comme futile ou irrespectueux pour ceux qui ont faim. Parler de nourriture et apprécier ce que l’on mange peut être une façon de renouer avec la terre, le terroir, la culture, une manière de refuser notre uniformisation. Partager un repas simple peut être une façon de recréer les conditions d’un dialogue familial ou social.
Tiens, j’avais oublié. A Nice, je suis tombé sur un exemplaire d’un quotidien où Marc Levy[6], l’écrivain, prétendait que l’on ne pouvait à la fois manifester contre la faim dans le monde et contre les OGM. Je ne sais pas où il a été pêché cette c….
[1] Livre déconseillé aux végétariens et aux antichasses !
Saint-Michel-L'Observatoire - 04870
[4] De ses activités passées dans le monde de la culture et du tourisme, il a un regard qui peut être critique. On fait le Palais des Papes parce que cela fait bien, point parce que cela intéresse.
[5] Comme l'avait déjà fait l'économiste Philippe Defeyt, Brigitte Duquesne, chercheuse à l'Observatoire, a répété, chiffres à l'appui, que notre nourriture est aujourd'hui meilleur marché que par le passé. Il fallait par exemple à un ouvrier 223 minutes de travail pour acheter un kilo de beurre en 1955 contre 22 minutes en 2007. 18 minutes pour un litre de lait ou un pain contre, respectivement 3 et 6 minutes actuellement. 130 minutes pour un steak contre 45 aujourd'hui…
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la part du budget consacrée à l'alimentation varie très peu en fonction des revenus : 11 % pour les plus pauvres, 13 % pour les plus riches. Une constatation qui interpelle la chercheuse. « Quand un ménage qui a mille euros par mois de rentrée consacre 13 % de son budget à l'alimentation, cela revient à dépenser 130 euros. C'est très peu pour manger de manière convenable. Je crains que beaucoup de gens n'économisent sur la nourriture plutôt que sur d'autres postes de leur budget. »
http://www.lesoir.be/actualite/economie/alimentation-une-etude-sur-la-2008-06-07-604073.shtml