L’état, c’est-à-dire nous, doit donc aider ces entreprises à passer le cap. L’état, qu’ils ne tiennent pas généralement à avoir dans les pieds, devrait être selon eux la divine providence. Au nom de l’emploi et de l’économie disent-ils. Passer quel cap d’abord ? Celui du pétrole cher ? Peut-on raisonnablement soutenir que le prix du carburant repartira à la baisse ? Ou que cette baisse se maintiendra ?
N’est-il plus judicieux de suggérer au monde économique, fort enclin à demander plus de flexibilité à ses travailleurs, de repenser sa manière de fonctionner ? Si le coût du transport, particulièrement pour les plus gourmands en énergie, devient prohibitif, est-il à ce point utopique de concevoir un retour à une production locale ou à tout le moins à l’utilisation de transports parfois moins rapides, mais certainement plus performants en matière énergétique[1].
Bien entendu, en jouant sur le spectre du chômage ou de la pénurie, il est aisé de jouer sur les cordes sensibles des gouvernants et des citoyens. Pourtant, chacun devrait savoir que le transport bon marché a conduit à des délocalisations stupides, des trajets inutiles. Il a entravé l’émergence de projets de production locale novateurs ou a empêché la conservation d’activités traditionnelles. Le « just on time » a supprimé les capacités locales de stockage. L’avion bon marché a déstabilisé le tourisme[2]. Tout cela a eu aussi un impact sur l’emploi.
Poussé par un pétrole cher, il est temps que le monde économique refonde ses crédos de fonctionnement.
Mais il est également temps pour nous aussi. Pouvoir d’achat en baisse et prix du pétrole en hausse, je sens que je vais être encore politiquement incorrect. Nous pouvons raisonnablement s’interroger sur cette notion de pouvoir d’achat (ou de devoir d’achat) que l’on nous met à toutes les sauces. Je citais lors de ma dernière chronique, ces études sur le faible pourcentage consacré à la nourriture dans nos budgets ou sur le fait que les produits alimentaires ne sont pas réellement plus coûteux. Je pourrais citer un intervenant dans un débat sur le sujet, à Matin première, qui parlait d’une augmentation substantielle du niveau de vie moyen ou d’une fixation psychologique sur l’augmentation des prix de l’alimentation alors qu’ils ne pèsent que 12% dans le budget des ménages.
Il est clair que les moyennes éludent les situations précaires et que pour celles-là, il est nécessaire de trouver des solutions originales qui ne mettent pas en déséquilibre les budgets. Il faut aussi que les solutions aient un impact à long terme. Privilégier par exemple la prime à l’isolation plutôt que l’aide à la consommation.
En effet, quel est l’intérêt de baisser la TVA sur le mazout pour le tout-le-monde ? Une mesure linéaire qui profite à tous, mais met à mal les budgets. Quel est l’intérêt de diminuer les accises pour les transporteurs ? Une mesure qui favorise un mode de transport polluant. Ces mesures peuvent-elles nous préparer aux défis qui nous attendent ?
Quand le gouverneur de la Banque Nationale propose que l’indexation des hauts salaires soit limitée, c’est le tollé général parmi les partis politiques, alors que bien souvent, ces hauts salaires ont une voiture de société (un mal belge) et une carte essence (une catastrophe). Pour eux, l’augmentation du prix du carburant est un détail bilantaire. Et puis, pour les autres, cela ne les a pas empêchés de réserver des vacances lointaines et de remplir ses caddies de choses inutiles. Le prix de l’essence est terriblement haut, mais cela n’empêche personne de dépasser les limites de vitesse. Nous nous plaignons de ne pouvoir partir en vacances mais on a acheté un monovolume (pourquoi ?) et placé un parquet exotique (pourquoi exotique ?). La vie est chère, mais il n’est pas question que les enfants fassent deux kilomètres à pied ou qu’ils mettent un pull, plutôt que le chauffage à fond. La vie est chère, mais nous préférons acheter des eaux exotiques, plutôt que d’ouvrir un robinet. La vie est chère, mais nous préférons les plats préparés coûteux et déséquilibrés que nous arrosons de sodas écœurants.
Le devoir d’achat, de consommer, de dépenser, de polluer nous rend-t-il heureux ? La croissance fait-elle notre profit ou est-ce notre esclavage se demandent certains. Sont-ce à ce point des questions futiles, des ouvertures sur des projets utopiques ? Les gosses sont-ils plus heureux quand nous les gavons de sucreries, de jeux vidéo ou de déplacements en bagnole ? Notre épanouissement passe-t-il par tous les brols que nous achetons ? Ayons l’honnêteté de regarder ce que nous avons dans nos (gros) cabas et le plaisir réel que cela nous donne.
Au Bhoutan[3], la poursuite du bonheur se fait à travers l'amélioration de son BNB, pour bonheur national brut. Nous pouvons certainement trouver des faiblesses à cet indicateur, mais il semble souffrir de moins de défauts que le PNB, produit national brut, dopé par tout ce qui se commercialise, y compris la reconstruction après une guerre ou une catastrophe. Chez nous, les partis politiques défendent plus le devoir de dépenser que le droit d’être heureux.
Et qu’il ne la ramène pas avec leur austérité et autres fariboles… ce n’est pas cela que je veux dire.
Précisions:
Qui doit-on raisonnablement considérer comme “pauvre”? Pour la plupart des spécialistes que nous avons consultés, c’est assez simple:
qu’il soit allocataire social, travailleur, indépendant ou pensionné, tout isolé ou tout ménage qui, à la fin du mois, n’a pas réussi à assumer financièrement le strict nécessaire pour lui et ses enfants doit être considéré comme “pauvre”. Voilà le vrai "seuil de pauvreté”: ne pas réussir à se loger, se nourrir, se chauffer, s’éclairer, s’habiller et se soigner sans aide extérieure ou sans s’endetter. (Source Télémoustique).
Ce sont ces personnes qui doivent être aidées... et non pas un anonyme pouvoir d'achat.
Denis MARION
[2] Une étude a été faite sur la baisse de la fréquentation touristique en Grande-Bretagne due à l’apparition du low-cost et sur ses conséquences sur l’emploi et l’économie locale.
[3] L'une des particularités du Bhoutan est sa poursuite du bonheur à travers l'amélioration de son BNB, pour bonheur national brut. Là où la majorité des gouvernements se basent sur la valeur du produit national brut (PNB) pour mesurer le niveau de richesse des citoyens, le Bhoutan y a substitué le BNB pour mesurer le niveau de bonheur de ses habitants. Cet indice se base sur quatre dimensions, piliers du développement durable, à savoir :
- la croissance et le développement économique responsables ;
- la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise ;
- la sauvegarde de l’environnement ;
- la bonne gouvernance responsable.
matelas pneumatique : "cette affiche se trouve sur un boulevard pas loin de chez moi... Devoir d'achat... Dernier terme à la mode chez les résistants?"