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Le ticket de caisse était trop long

• Jeudi 22/03/2007 • Version imprimable

Dans ma chronique « Penser plus loin que le bout de son ticket de caisse », publié au mois de janvier, (1) je trouvais qu’il convenait de consacrer (à tout le moins pour ceux qui le pouvaient) les six francs six sous que nous venions d’épargner sur notre facture de chauffage à des dépenses, par exemple dans le domaine des économies d’énergie. Je n’avais pas grand espoir d’être entendu.
Et bien, aujourd’hui, je suis heureux de vous confirmer que je n’ai pas été écouté. Les réservations de voyage pour les vacances de Pâques ont apparemment explosé. Ce que l’on n’a pas dépensé en mazout de chauffage, on le dépensera en kérosène. Un bilan équilibré diront les cyniques.

Sur notre lancée, pouvons-nous nous réjouir d’autres choses ? Mais oui ! Le gouvernement, avant de tirer sa dernière révérence, vient de prendre plusieurs décisions, histoire d’améliorer la « vertitude » de nos actes, de magnifiques incitants fiscaux pour orienter notre consommation. Ainsi, si vous achetez certains modèles de voiture, rejetant peu de CO, vous bénéficierez d’une réduction de 15 % sur votre facture. Le problème est qu’aucun de ces véhicules n’est (et c’est logique) dans la catégorie des grosses berlines, SUV et autres monospaces. Ce sont toutes des petites voitures, certes bien suffisantes pour se déplacer, mais qui ne rencontrent pas les « besoins » ou les désirs d’achat (et d’image) de nos contemporains. Nous ne risquons donc pas de les voir rapidement remplacer les autres modèles. Surtout que l’exemple ne vient pas d’en haut.
En effet, dernièrement, le Soir Magazine dressait une liste des véhicules utilisés par nos éminences pour leurs déplacements. La plupart dépassaient allègrement les 220 gr de CO² au Km. (Il y en a un peu plus, je vous le mets). Nous sommes loin des 100 gr des voitures que le gouvernement veut promouvoir. Une mention cependant pour deux pionnières : Marie-Dominique Simonet (CDH) et Evelyne Huytebroeck (Ecolo), sa devancière, roulent toutes les deux en Prius (104 gr). Et un billet d’excuse pour le benjamin : Benoît Lutgen (CDH) a demandé à José Happart d’emmener sa BMW X5 lors de son départ à la présidence du Parlement wallon. Il roule maintenant dans un véhicule plus modeste, quasi amorti (5 ans, 250.000 km, 154 gr) qui se trouvait dans le parc automobile du cabinet, moins polluant que le gros 4x4 de Don José et que la plupart des autres véhicules éminents, les Prius exceptées. Thomas Gunzig, dans la Semaine Infernale, avait fait une analyse humoristique de la situation en évaluant le nombre d’équivalents-caniche que l’on pourrait économiser si nos ministres étaient pro-actifs.
Je rapprocherais cela d’une autre déclaration, celle d’Els Van Weert, Secrétaire d’Etat au développement durable et à l’économie sociale, qui recommande aux fonctionnaires de ne plus prendre l’avion pour aller à Londres, Amsterdam et Paris. Une recommandation, pas une interdiction. J’imagine les prochaines pubs d’Eurostar : « Y a-t-il encore des gros nazes et des fonctionnaires fédéraux pour encore prendre l’avion pour aller à Londres ». Que les fonctionnaires ne le prennent pas en mauvaise part, mais tout cela, c’est pour montrer qu’il y a encore du chemin à faire pour moins polluer en se déplaçant.

Apparemment, plus de carottes que de bâtons dans les déclarations gouvernementales évoquées plus haut. Un doute me taraude alors sur une question psychopolitique. Les carottes seront-elles suffisantes pour faire avancer les ânes que nous sommes ? Les primes environnementales que l’on nous propose ne risquent-elles pas de faire basculer uniquement les convaincus que le coût de l’investissement rebutait (et peut-être quelques indécis) ? Il ne semble pas que mes concitoyens aient pensé beaucoup plus loin que leur ticket de caisse. Ils ont préféré convertir leurs économies en miles aériens et en coups de soleil. (J’imagine leur tête si l’état de leur avait demandé de rembourser leur prime « mazout ».) Le choix est là. Entre une prime que l’on ne sollicite pas et une taxe imposée, il y a la différence entre « un manque à gagner » et « une perte » ; laquelle des deux sera la plus efficace pour modifier le comportement ? N’oublions pas que nous sommes dans une logique d’arbitrage entre dépenses et, pour nombre d’entre nous, entre dépenses « de plaisir » et dépense « d’économie » et non pas dans une logique de volonté de mieux faire. Attention, je suis sur le terrain glissant de la rage taxatoire et de la consommation innocente.

La modulation des déductions pour les voitures de société aura peut-être un impact sur le choix des véhicules, mais comme aucune modification n’a été apportée à la déduction du carburant, le gain possible sera donc vraisemblablement mangé par une consommation croissante. Les primes à l’achat de véhicules plus efficaces rencontreront toutes les excuses possibles pour ne pas pouvoir rouler dans une « petite » voiture. Les primes pour les bas revenus pour passer d’un mode de chauffage à un autre moins polluant se heurteront au manque d’information. Le soutien aux maisons passives sera-t-il efficace dans un secteur immobilier traditionaliste ? Ainsi, à ma connaissance, aucune firme « clé sur porte » ne propose de modèle répondant à ces critères. Cela est également sans compter l’influence de ces primes sur la hausse des prix des produits ou services visés.
Y a-t-il une solution ? Abandonner une bonne fois pour toutes les primes et les taxes alibis, élaborées à la va-vite pour, selon le cas, se donner une bonne conscience ou combler un trou budgétaire. Pour que certaines primes soient efficaces, une taxe poussant à modifier son comportement est peut-être nécessaire. Pour qu’une taxe soit acceptable (à défaut d’être acceptée), il faut que le but poursuivi soit identifiable et utile. Une prime est totalement inutile si les bénéficiaires en ignorent l’existence ou les avantages. Elle l’est également si le marché en profite pour augmenter les prix ou s’il n’offre pas suffisamment de possibilités de l’obtenir.
Il est donc nécessaire d’offrir un ensemble ambitieux de mesures cohérentes, équilibrées entre récompense, sanction, conviction, communication et contrôle. Ce n’est donc pas entre la soupe et les patates, velouté ou soupe à la grimace, que l’on prépare un tel menu.
Personnellement, avant que les carottes ne soient cuites, comme je n’utilise pas de couverts en plastique et que je n’ai pas de voiture de société, je vais voir s’il n’y a pas une prime dont je pourrais bénéficier. Malheureusement, il n’y en a aucune pour transformer une maison existante en maison passive. C’est bête parce que la rénovation représente un fort pourcentage des chantiers de construction. Il y a donc encore du chemin...


(1) http://humeur.tropdebruit.be/news/penser-plus-loin-que-le-bout-de-son-ticket-de-caisse
(2) http://www.lalibre.be/article.phtml?id=5&subid=293&art_id=336516
(3) http://tropdebruit.be/news/les-fonctionnaires-federaux-voleront-ecologique