Ce n'est pas qu'elles [ces entreprises transnationales] soient " méchantes " : elles fonctionnent en vue de la maximisation de leur profit. Ce qui signifie qu'elles produisent pour les marchés à fort pouvoir d'achat, qui sont au Nord, pas au Sud. Normal dans une logique de profit. Vous pouvez même acheter dans nos supermarchés de la viande de crocodile, des fraises en hiver qui viennent du Chili, des melons du Guatemala : cela va jusqu'à l'absurdité.
Jean Ziegler, dans un article publié dans le Soir.
Je viens d'envoyer une copie de cette interview à mon cousin Charles, celui dont je vous parlais dans ma dernière chronique, ce cousin qui ne se sentait responsable de rien dans cette société qu'on lui imposait. Je subodore qu'il plaidera qu'il n'est pas coupable d'acheter du crocodile, de la perche du Nil ou du melon du Guatemala.
Mais bien entendu, est-ce sa faute si sur nos étals, tous ces produits sont offerts à sa convoitise de gourmet ? Est-ce sa faute si la production de ces produits entraîne autant de bouleversement ? Il n'en est que le pauvre consommateur à qui s'impose la volonté des grands groupes internationaux ? Foutues excuses.
Lors de ce fameux diner de famille, mon cousin Charles et ma tante Aimée me soutenaient que le consommateur n'était pas informé et que l'on ne pouvait lui tenir rigueur de ces errements. Admettons là encore qu'il ne lise que le prix sur l'étiquette, que les petits spots d'information à la télévision se noient entre les réclames des poudres à lessiver et des langes qui ne fuient jamais et surtout pas les poubelles. Mais quand même ! Peut-être que si l'on plaçait un grand symbole sur les produits, un grand avion rouge, pour leur expliquer que leurs fraises ne viennent pas de Wepion, qu'elles ne sont pas de saison et pèsent lourds en pétrole. C'est en tous les cas ce qu'espère le collectif " Avion rouge ". (1), Mais je suis sûr que mon cousin prétextera qu'il est daltonien, pressé et que toute façon, si c'est dans le magasin, c'est que l'on peut les acheter, ce serait dommage de les jeter.
A en croire les deux grands groupes de distribution, le film " Cauchemar de Darwin " qui dénonçait les conditions de production de la perche du Nil n'a eu aucune incidence sur la consommation de ce poisson. Admettons que tout le monde n'ait pas vu ce documentaire, mais aucune incidence, cela me laisse pantois.
Et puis, s'il n'y a plus de perches du Nil, ma victime de cousin pourra toujours préparer du pangasius (2) qui vient du Vietnam, produit dans des conditions sociales et environnementales acceptables selon les distributeurs.(3) Si, si, on vous l'assure… des gens sont allés sur place et tout et tout. Et si ce n'était pas le cas, cela ne lui couperait certainement pas l'appétit.
Il faudra donc d'autres coupe-faim. Si le " Cauchemar de Darwin " n'a pas fonctionné, WE FEED THE WORLD (4), un film récent pourrait peut-être avoir un impact. Impact peut-être pas pour mon cousin Charles, ni pour ma tante Aimée, mais pour d'autres, pour ceux qui tentent de chasser les doutes qui reviennent les assaillir chaque fois qu'ils font leurs courses. Qui sait, entre un " avion rouge " et une " tortue verte ", le consommateur finira par trouver ses marques… de produits respectueux de l'homme et de la nature.
Allez voir WE FEED THE WORLD, (dans les salles depuis le 14 mars) cela n'a pas l'air mal à en croire la bande annonce… et si cela vous évite de bouffer des cochonneries au moins pendant la séance, les oreilles et les sinus des autres auront été protégés le temps d'un film.
PS. A tous les cousins Charles et tantes aimées, la liberté de consommer n'est pas un droit sans limites.
(1) http://tropdebruit.be/news/petition-pour-un-etiquetage-clair-du-mode-de-transport-des-marchandises-intercontinentales
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Pangasius
(3) Source Le Soir (14/03)
(4) http://tropdebruit.be/news/we-feed-the-world " WE FEED THE WORLD est un documentaire qui parle de nourriture et de globalisation, de pêcheurs et de fermiers, de nous et de ce qui se trouve dans notre assiette. "