Pas trop mon truc, les faits divers. Je ne passe guère mon temps à lire les chiens écrasés dans les gazettes. Pourtant, il y eut hier, samedi, à Louvain, un accident qui m’a interpellé. Certainement, parce que c’est une route que nous prenons régulièrement ma femme et moi, parce que le carrefour où a eu lieu la collision est un carrefour que nous connaissons bien pour le traverser en voiture ou à vélo. Nous y avons réfléchi. Nous avons aussi été étonnés par le traitement du sujet. Je me suis dit que cela pouvait faire un bon sujet de chronique pour un dimanche de pluie. Le jour même, j’avais eu une conversation avec un ami sur la circulation automobile et la sécurité. Les faits s’enchaînaient.
Donc, ce samedi, sur la chaussée de Wavre à Louvain, un pick-up, venant d’une rue adjacente, non prioritaire et où la vitesse est limitée à 30 kilomètres à l’heure, a percuté une petite citadine dont tous les occupants sont décédés. Un fait divers donc, dramatique. Les jeunes conducteurs du 4x4 étaient Roumains et sous l’emprise de la drogue. Cela semblait suffisamment important pour que la VRT ou la presse écrite le précise. Qu’ils étaient sous l’emprise de la drogue est un élément déterminant, mais leur nationalité ? Alors, j’ai trouvé intéressant de lire les commentaires que faisaient les lecteurs d’un grand quotidien flamand sur ce drame.
Et cela fait peur : « C’était sûrement des illégaux ou des « libérés sur parole». « Refermez les frontières». « Coupez-leur la tête». « N’attaquez pas les 4x4. Haro sur les verts et les défenseurs des usagers faibles». « Nous vivons des temps difficiles». « Expulsons-les». D’autres messages, moins nombreux, s’indignaient quand même de tels propos. Vraisemblablement que nous aurions eu les mêmes commentaires dans un journal francophone.
Peur, angoisse, rejet, mais peu d’introspection.
Je veux dire par là que pour la majorité des lecteurs de ce journal les causes de cet accident étaient à trouver dans la « culture barbare » des jeunes gens, dans la race, la drogue et plein d’autres choses, mais peu ont eu le courage d’écrire que cela aurait pu être eux au volant. Il est assez stupide de dire que l’origine « ethnique» des conducteurs puisse être une cause d’accident. Comme il serait tout aussi stupide de croire que nos jeunes (ou moins jeunes) roulent toujours sobres.
Il est évident que les pilules d’XTC peuvent être une des causes de l’accident ou expliquer sa violence. Et pourtant, se cacher derrière cela est occulter une part de la vérité. Je vous ai dit que je passais régulièrement par ce carrefour. Combien de fois n’ai-je pas vu une mère de famille ou un papy s’arrêter en catastrophe, en plein sur la piste cyclable, nécessitant parfois même un coup de volant pour les éviter. Le panneau STOP est bien placé et la vitesse bien indiquée. Je ne pense pourtant pas qu’ils étaient tous sous l’influence de pilules ou de l’alcool à quatre heures de l’après-midi. Nous avons tout simplement une façon de conduire de plus en plus agressive, malgré tous les contrôles.
Peur, angoisse, rejet, mais peu d’introspection.
Je veux dire par là notre incapacité à accepter certaines évidences comme le fait qu’une collision entre un 4x4 (ou une grosse berline) et une petite citadine entraîne bien souvent plus de dégâts à la seconde qu’au premier. Justifier l’achat d’un gros véhicule uniquement pour des raisons de sécurité (ou d’image)est pour moi l’une des plus grosses « conneries ». C’est une vision individualiste, égoïste de la sécurité sur les routes. De toute façon, c’est une arnaque. Quand tout le monde aura son « gros » véhicule, on reviendra à la case départ en ayant laissé quelques victimes sur les routes. Il y a quelques années, j’ai été renversé par une petite fourgonnette. Je m’en suis sorti. Je ne crois pas que j’aurais eu le même traitement avec la calandre d’un gros pick-up.
Walt Disney avait produit, dans les années cinquante ou soixante, un dessin animé sur la circulation automobile, où l’on voyait Goofy se métamorphoser entre son état de piéton et celui de conducteur : en voiture, beaucoup d’individus deviennent des « monstres». Les hommes, et les femmes dans une moindre mesure, quand ils se mettent derrière au volant, oublient qu’ils conduisent une véritable machine à tuer. Alors, dire de ces jeunes gens qu’ils sont des assassins, c’est oublié un peu vite qu’à nos proches ou à nous-mêmes, cela pende toujours au nez. Le jour où à cause de notre distraction, d’un repas de fin d’année trop arrosé ou d’une colère refoulée, nous serons impliqués dans un tel accident, que voudrions-nous que l’on dise ?