Un texte écrit par Véronique de Potter, Schaerbeek et membre de Bruxelles Air Libre
J’ai été médusée par la lecture du petit article intitulé « Vite, Venise ! » paru en page 8 du supplément « Victoire » du Soir du week-end dernier.
Vous devez sans doute ignorer encore qu’un décollage consomme d’avion autant de combustible fossile (non taxé, voir plus loin) qu’une voiture en une année entière et qu’un vol Charleroi-Venise produit environ 0,46 tonne d’équivalent CO2 (aller-retour) par passager pour un séjour d’une journée ?[1]
Lors des sondages, la plupart des citoyens interrogés citent l’environnement et le changement climatique parmi leurs préoccupations principales. Mais nombreux aussi sont ceux qui ont du mal à établir un lien concret entre cette problématique et leurs habitudes de vie et de travail, leur façon de déplacer, de manger, de se vêtir, de vivre leurs moments de loisirs.
Le transport aérien a connu une croissance exponentielle depuis les années 70, grâce à la déréglementation dudit secteur, à l’avènement du concept « low-cost », à la non-taxation historique du kérosène et à l’externalisation complète des nuisances (chimiques, sonores, climatiques). On lui prédit une croissance tout aussi importante pour les prochaines années. Mais qui alimente cette croissance ? Les compagnies aériennes et les tour-operators, bien sûr, mais aussi la presse et les médias qui vantent ce genre de produits et services dans leurs pages et leurs images… On en est arrivé à faire l’article pour des produits et des services que personne n’aurait imaginé il y a moins de 20 ans à peine et qui ne correspondent à aucun véritable besoin humain.
La notion de « voyage » a fortement évolué en quelques décennies. Aujourd’hui « voyager » ne signifie plus cheminer, vivre et découvrir à un rythme paisible mais consiste à « zapper » vers des destinations plus ou moins lointaines, de plus en plus souvent pour des périodes très courtes. Il est devenu totalement banal voire souhaitable de s’acheter une résidence secondaire dans un autre pays et de s’y rendre en avion 20 fois par an le temps d’un week-end, et ils ne sont pas rares les « expats » qui travaillent dans un pays la semaine et rentrent au pays en avion presque chaque week-end. Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs. Quel que soit le regard qu’on porte sur ces manières de vivre ou de voyager et sur le bénéfice humain/social/relationnel/culturel/intellectuel qui peut en être retiré (ou pas), un fait concret demeure : elles ne sont pas écologiquement et économiquement pas tenables à long terme.
De plus en plus de voix s’élèvent dans la société civile pour demander l'interdiction de la publicité pour les voyages par avion et pour les voitures[2] (seulement la publicité, il ne s’agit pas d’empêcher la vente !), tout comme cela s’est fait pour l’alcool et la cigarette, vu que la pollution chimique et sonore et la production de CO2 du transport aérien et du transport routier (et des transports en général) ne cessent de croître et nuisent gravement à l’avenir de notre planète bleue (et de notre espèce en particulier).
Je lis la presse écrite tous les jours et j’ai le plus grand respect et une profonde admiration pour la profession de journaliste. J’ai cette foi – peut-être naïve – qu’un journaliste a pour mission de faire de nous des citoyens informés, éclairés, conscients, responsables, meilleurs. J’estime ausi que ce n’est pas le rôle des journalistes d'inciter leurs lecteurs à adopter des formules de voyage aussi déraisonnables que les city-trips par avion d’un jour. C’est au mieux inconscient, au pire irresponsable.
Il me paraît symbolique que l’article que j’incrimine traite précisément d’un city-trip à destination de Venise, Venise qui en cas de montée des eaux due au changement climatique sera parmi les premières zones habitées à être touchée…
Est-il encore opportun de promouvoir des city-trips par avion d’un jour alors que Al Gore[3] et le GIEC viennent de recevoir un prix Nobel, alors que vient de se tenir le « Grenelle » de l’environnement en France, qu’on évoque la création d’un « Super Ministère Vert » chez nous… ? Pourquoi nous est-il si difficile d’appréhender la « finitude de notre domaine » (selon l’expression du philosophe français Albert Jacquard) et de ses ressources ? Le pétrole dont sont dérivés le kérosène, l’essence et le diesel, n’est pas une ressource inépuisable. Le « pic pétrolier » est annoncé pour 2010, date à laquelle l’offre (en déclin) de pétrole abondant et bon marché ne suffira plus à répondre à la demande (sans cesse croissante, surtout avec la modernisation accélérée de l’Inde et de la Chine). Peu de vraies solutions de rechange sont prêtes pour les transports : les biocarburants ne suffiront pas et risquent de poser plus de problèmes qu’ils n’en résoudront, l’hydrogène et le solaire balbutient… Nous restent le chemin de fer et la voie navigable qui mériteraient qu’on y investisse plus que dans les infrastructures aéroportuaires et autoroutières. Ce n’est pas encore acquis.
Non, vraiment, il ne peut y avoir de double discours, un pour la semaine et un pour les dimanches, ou un discours pour les articles « sérieux » et un autre pour les articles plus « mondains » ou plus « légers ». Il est grand temps d’essayer la cohérence journalistique… Même le choix des ingrédients des recettes publiées par les magazines appelle une réflexion différente et nouvelle.
Véronique de Potter, Schaerbeek
[1] Nombreux calculateurs disponibles sur internet.
[2] Il y a 6 voitures pour 10 habitants en Belgique, et 1 million de voitures circulent chaque jour à Bruxelles.
[3] Parmi les recommandations du film « An Inconvenient Truth » : Fly less…