Mais ce qui est vrai dans une relation proche, l’est autant dans nos relations avec les autres, avec des inconnus, avec l’environnement. Mais qu’est-ce qui nous conduit à ne pas nous sentir concernés. L’ellipse dans la réflexion nous conduit à ne pas considérer l’ensemble d’un problème. Les excités qui se sont manifestés à l’annonce de la libération conditionnelle de Michèle Martin, aussi compréhensible soit leur colère n’ont pas considéré l’ensemble du dossier, les conséquences du jugement, le caractère général d’une loi et pour les plus revanchards, l’insanité et l’inanité de la peine de mort. Mais plus préoccupante est la sélectivité dans leur hargne. Parce qu’en ces temps troublés, où certains voudraient des lois d’exception, réformer des jugements ou revenir à des formes brutales de justice, nous aimerions parfois que l’on se pose la question sur la nocivité, la dangerosité réelles des individus.
Que pensez-vous par exemple de cette personne ? Il est le patron d’un grand groupe cigarettier. Pendant des années, son entreprise a payé des gens pour tenter de prouver que le tabac n’était pas nocif. Elle a mis au point des procéder pour favoriser l’accoutumance à la nicotine. Elle a inondé le monde de publicité (y compris lors de compétitions sportives). Des millions de gens, fumeurs ou non-fumeurs, sont morts ou ont souffert à cause de ses produits. La collectivité par le biais de la sécurité sociale a payé pour cela. Et pourtant, année après année, les bonus sont pourtant tombés dans la poche de ce patron. Est-ce un criminel ou un grand capitaine d’industrie ?
A l’instar de ces citoyens à la haine sélective, nous ne considérons que rarement l’ensemble d’un problème. Et nous évitons surtout de nous considérer comme au centre du dit problème. Bien entendu que nous n’avons pas laissé sciemment mourir de pauvres petites, ni envoyer à l’hôpital ou à la morgue des millions de personnes, mais nos comportements, nos manières de vivre, nos prises de positions influencent directement ou indirectement la vie d’autrui. En achetant un téléphone portable, nous sommes impliqués dans le trafic de coltan ou les exécrables conditions, proches de l’esclavage, des ouvriers chinois. En consommant des fruits et des légumes des serres d’Almeria en Espagne, nous sommes complices d’exploiteurs de clandestins et de pollueurs patentés. Nos déchets se retrouvent en Afrique ou en Inde. Nos productions agricoles déstabilisent les marchés de certains pays et notre goût pour le pétrole favorise les guerres ou les dictatures. Sans compter que nos manières de vivre ont une influence réelle sur la planète en termes de disparition de la biodiversité ou de réchauffement climatique.
Alors, nous pouvons nous rassembler pour clamer, peut-être à juste titre, que la justice dans ce pays est imparfaite, mais nous pouvons surtout être heureux que notre complicité ne nous soit pas comptée.