Changer de point de vue, on le scande, on le scande sur tous les ponts, on le scande sur tous les tons. Parce que comme je l'écrivais dans une chronique récente en parlant de révolution copernicienne, la RÉVOLUTION est un substantif féminin qui évoque un mouvement en courbe fermée autour d'un axe ou d'un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ.
Se déplacer ne serait-ce d'un fifrelin permet souvent de voir les choses autrement. C'est un peu, et les jardiniers parmi vous le savent, comme quand on coupe les gourmands sur un plant de tomate. La différence d'angle de vue vous fait découvrir des rameaux à élaguer. Changer son point de vue pour mieux comprendre, mais changer son point de vue pour donner aussi une autre image de soi.
C'est ainsi que la commune de Grez-Doiceau, sollicitée par la commune d'Overijse a autorisé le passage du Gordel, manifestation certes sportive, puisqu'il faut pédaler pour la suivre, mais surtout politique, pour ceux qui estiment qu'il faut définir un caractère ethnico-linguistique précis à la région entourant Bruxelles. Les seules exigences étaient de laisser les emblèmes nationalistes au vestiaire. Les organisateurs ont finalement changé d'avis. Cela nécessitait sans doute une trop grande logistique de laisser tous les accessoires, drapeaux et calicots pourtant si peu nécessaires dans une promenade présentée comme festive, familiale et sportive. Peut-être que certains ne désiraient pas voir les panneaux d'accueil trilingues que les autorités communales gréziennes projetaient de placer. Les extrémistes de tout poil ne supportent pas les messages positifs. Renforcer les différences leur est toujours profitable. A ce sujet, je viens de terminer de lire un dossier publié dans le Vif sur la manière de revoir l'histoire dans les manuels scolaires flamands. Cela pose question. Mais pas plus que dans la plupart des pays où l’histoire est travestie. Cela nous touche simplement plus.
C’est cela le malheur de ce monde. La place donnée aux nationalistes, rattachistes, détachistes, régionalistes, affairistes, fiscalistes fait oublier l’essentiel : les gens et leur environnement.
Dans une récente publication, un collectif d’intellectuels flamands prenait le contre pied des positions soi-disant communément admises. Ils se disent qu’une Flandre autonome ne serait pas le paradis sur terre. « Et tandis que la Flandre exige davantage de compétences, chaque jour, et sans aucun débat démocratique, des compétences sont transférées à une Union européenne qui ne favorise que les libéralisations et la concurrence. Dans une Flandre autonome, la directive sur les services ("Bolkestein") aurait été acceptée sans murmure ni modification. Il règne en Flandre un silence assourdissant sur le modèle social flamand préconisé. On réagit à peine aux appels permanents de la droite pour une baisse des impôts sur les sociétés, pour la concurrence fiscale, pour la suppression de l'index ou pour la limitation des allocations de chômage dans le temps. Quel progrès social apporterait une Flandre autonome ? » en concluant que « Bref, nous ne sommes pas du tout convaincus que des compétences flamandes homogènes apportent une vie meilleure aux "gens". Dans les domaines où le gouvernement flamand est déjà souverain, la politique n'est certainement pas plus sociale. »
Sur la place de chacun dans la société, il y aurait autant à redire. Une amie flamande me confiait que sa qualité de mère homosexuelle ne lui vaudrait certainement pas les faveurs d’une région qui serait peut-être devenue indépendante, mais certainement rétrograde. Mais là encore, ce n’est pas propre à
S’ouvrir pour comprendre que l’on vous vend du vent et des mensonges nécessite bien entendu de changer de point de vue. Comprendre que l’on peut transformer le passé pour éclairer le présent et justifier le futur en est un moyen. Comprendre également que les modèles (de pensée) sont des choses qui peuvent (et doivent ?) être démontées. Le darwinisme social, la loi du plus fort et autres billevesées ne sont pas que des règles culturelles et les sciences économiques ne sont peut-être qu’un recueil de stupidités (au quel cas, j’ai vraiment perdu mon temps)… Il est même possible que la « croissance » soit une grosse arnaque.
C’est en tous les cas ce que pensent ces marcheurs qui sont portés plus sur la quête de sens que sur la croissance. « C'est une remise en question de la surconsommation, du productivisme à tous crins et du principe du PIB […] Nous voulons inventer ensemble un nouveau système de fonctionnement commun axé sur les valeurs humaines et non pas matérielles ». C’est un fameux changement de paradigme…
Arrêtons de considérer comme des lois immuables de simples référents culturels…
Arrêtons de considérer le Gordel comme un événement sportif…
Arrêtons de nous considérer comme bons et les autres comme mauvais…
Arrêtons de croire toutes les stupidités que l’on nous assène.
Mais n’arrêtons pas de nous remettre en question.
Pour conclure, je reciterai ce collectif d’intellectuels dont les propos traitaient de la Belgique mais peuvent s’appliquer à d’autres situations : « Cela signifie que les règles institutionnelles et l'espace politique doivent être repensés. Ce ne serait pas si mal si pour une fois, on écoute les voix dissidentes, hors de la prétendue homogénéité des fronts flamands et francophones. »
Denis MARION
PS. D’accord, je déteste le Gordel. (Je détesterais tout autant une ceinture de chasteté autour de Bruxelles). Si l’on désire manifester son nationalisme, qu’on le fasse dans les règles : tambours, trompettes et étendards, pas sous le couvert d’une manifestation familiale ou sportive. Mais chacun sait que le sport est une forme de guerre et que la victoire est un enjeu politique.
http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/435037/la-flandre-que-nous-voulons.html
http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/435080/apres-la-croissance-la-quete-de-sens.html
Paradigme : conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée.
Un bon article, comme d'habitude, mais l'amie 'flamande' ne se sens pas à l'aise avec la dénomination 'amie flamande'. Certes, j'habite en flandres, mais je suis Belge!