Carte blanche parue dans Espace-vie n° 218 |
Laissons de côté le premier point du trio qui n’est somme toute qu’anecdotique. Même si la part des déplacements de loisirs a son importance pour analyser le second point.
Pourquoi se déplace-t-on ? Il y a, là derrière, un modèle de société. Bien entendu, chacun affirmera qu’il est normal de se déplacer pour aller au travail, pour conduire les enfants à l’école, pour faire des courses, pour aller ici et revenir là. Qui oserait contester la légitimité de ces déplacements ? Les plus progressistes diront qu’il faut, au vu de la situation climatique, plus de transports en commun pour remplacer la voiture mais ils ne remettront pas en question le droit d’aller au cinéma et de rentrer à 22 h 30. Alors, plutôt que de parler de mobilité à tout crin, ne faudrait-il pas alors se limiter à une notion d'accessibilité aux services? Parce que tous ces choix individuels ne sont pas sans conséquence. En effet, la pression automobile, souvent plus aigüe le week-end que la semaine en dehors des heures de pointe, est telle qu'elle conduit à prendre des décisions politiques comme des infrastructures ou alors des obligations de parkings, de garages, des limitations de développement par le biais de règles de densification a minima, imposées aux citoyens qui souhaitent construire ou rénover. Des règles faites par peur de voir les rues s'embouteiller.
A court terme, il s'agit peut-être de bonne politique. Mais à long terme, qu'en est-il? Si demain, l'énergie venait à manquer, ces arguments seraient-ils encore bien pensés? Dans un article d'Espace-Vie, "Quel avenir pour notre territoire ?"[1], nous avions proposé de recréer des unités plus petites pour qu'elles soient proches des lieux de fourniture de consommation et de travail parce qu'une bonne partie de l'activité tertiaire s'éteindra et que le retour aux productions locales, agricoles ou industrielles, s’imposera largement. Cette solution, qui peut paraître incongrue, se fondait sur la disparition d’une énergie bon marché, impliquant la difficulté de maintenir des processus de production nécessitant matières premières et énergie pourtant en déclin, de maintenir une mobilité permanente des humains et des marchandises et la nécessité de restaurer un environnement équilibré.
Peut-être que les noyaux d'habitat comme l'accessibilité aux services doivent-ils être vus différemment? Une densification forte de nos villages peut-elle rester un tabou? Ne serait-il pas plus sain de mesurer les impacts des projets en tenant compte de ces critères : rareté de l'énergie et des terrains à bâtir, plutôt que du nombre de véhicules ou d'une pseudo-ruralité.
Anne Collignon, géographe et urbaniste, Hermann Pirmez, anthropologue, Denis Marion, économiste.