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Les dessous de Bali

• Dimanche 16/12/2007 • Version imprimable

De notre correspondant en poste à Bali, Yvan Vandenbergh.
Ancien président de Bruxelles Air Libre.

Sans accréditation et sans badge, un écologiste Belge convaincu a traîné ses sandales dans les couloirs de la conférence de Bali pour y prendre le pouls, pour assister aux rencontres off, pour tester le vélo électrique et voir la voiture solaire, mais aussi pour rencontrer la population balinaise ébahie. Quelques brèves de son voyage au village planétaire du Climat.
 
Les derniers projecteurs se sont éteints dans les salles de conférence de Nusa Dua. Les Balinais s'emploient à ramasser les centaines de kilos de papier et de gobelets en plastic abandonnés par les 10.000 participants à la Conférence sur le Climat. Des centaines d'avions vont bientôt reconduire tout ce beau monde à destination. Savent-ils seulement combien de tonnes de carbone seront rejetées dans l'atmosphère ? Il faudra bien les piéger dans les forêts, qu'il devrait désormais être plus rentable de conserver que de couper.
Les journaux auront dit au monde entier que le temps de parler est révolu et qu'il va falloir agir dès demain. Les Etats Unis, de plus en plus isolés après la volte face de l'Australie qui vient de signer Kyoto, se sont même trouvés dénoncés par leurs compatriotes comme Al Gore et John Kerry mais aussi par le Maire de New York.
 

Une conférence sous haute surveillance

L'attentat de Kuta est encore dans toutes les mémoires et les caméras du monde entier doivent attiser les appétits des candidats terroristes et les attirer comme des moustiques autour d'une ampoule. Le gouvernement indonésien n'a rien laissé au hasard. Des militaires en arme en plein soleil à tous les carrefours. Des rouleaux de fil de fer barbelé disposés aux endroits stratégiques.  Des check point où il ne fait pas bon d'avoir une tête d'Indonésien pour passer en voiture sans bonne raison. Même un blanc - sans laisser passer et sans badge - a intérêt à être présentable et arborer un laptop qui atteste de son sérieux. Plus loin deux hélicoptères patrouillent à basse altitude et à l'aéroport les chiens sniffent tous les bagages.
Le gouvernement aura réussi son pari : rendre à Bali l'image paisible et aimable que justifie la gentillesse de ses habitants si prévenants.
 

Mais pourquoi donc l'Indonésie ?

3ème pays producteur de gaz à effet de serre après les Etats Unis et la Chine, l'Indonésie était-elle le meilleur endroit au monde pour tenir cette conférence ? Avec des rivières qui sont de véritables égouts à ciel ouvert et des centrales électriques d'un autre âge, il a bien fallu programmer l'inauguration de 3 centrales géothermiques à Bali pour faire oublier que l'Indonésie a décidé de produire de l'électricité nucléaire  à Java, terre de volcans  actifs, de tremblements de terre et de tsunamis !
Bali pourrait faire figure d'exception parmi les îles indonésiennes, l'hindouisme à la balinaise considère l'île comme une propriété des Dieux, qui la mettent à disposition des hommes et leurs fournissent les ressources naturelles pour vivre. Dewi Sri, la désse du riz, est honorée dans toute rizière. Les grands arbres sont sacrés et personne ne coupe un arbre sans une cérémonie destinée à lui dire pourquoi il est nécessaire de le couper. La construction galopante, la sculpture sur bois pour les touristes et le bois de cuisine ont fini par avoir raison de la forêt primaire et le dernier tigre a été vu il y a 50 ans. Et puis, faute de transport public à Bali et grâce au pétrole subsidié à la pompe par le gouvernement, chacun a remplacé son vélo par une moto ou une voiture. Plastic et trafic sont devenus les deux principaux problèmes de l'île de Dieux.
Alors pourquoi Bali ? Sans doute parce que Hambourg, Stockholm ou Chicago auraient attiré moins de monde. Et puis aussi parce que les pays riches souhaitent convaincre l'Indonésie de conserver les immenses forêts qui subsistent pour qu'elle servent de poumon aux pays riches qui ont coupé les leurs depuis longtemps.
 

Les poubelles de la conférence

Un peu partout autour de la capital de Bali des calicots oranges ont été disposé par le gouvernement pour inciter à penser global et à agir local, ou à consommer responsable. Climat oblige, des triples poubelles ont fleuri un peu partout : plastic, papier et divers … mais le camion de ramassage est unique. Lorsqu'il déverse sa cargaison malodorante sur un terrain loin de Nusa Dua, ce sont les sans abris qui font le tri sélectif à la main et le reste est balancé dans la mangrove. Le plastic des bouteilles à de la valeur, le carton aussi, on se les arrache fort heureusement, mais les sacs en plastic ne valent rien et des fumées noires attestent de leur destinée. Sur la route de la Conférence, un terrain vague sert de dépotoir. Le lendemain, une palissade d'urgence le soustrait aux regards. A 100 mètres un riche Balinais laisse brûler 2 ampoules de 100 W de nuit comme de jour. Question de génération.  C'est l'école qui est l'espoir d'un autre Bali, sans snacks empaquetés, sans doses de shampoing individuelles et avec le grand retour de la feuille de bananier qui emballe tout.  Bali cantik tanpa plastik !
 

Arpenter les couloirs sans badge

C'est une gageure et presque un sport, vivre la conférence de Bali sans badge est un exploit. Même le directeur de la Banque mondiale s'est vu interdire l'accès d'une conférence parce qu'il avait oublié son badge et se croyait assez connu. L'auteur de ces lignes pourrait en dire long sur les différentes stratégies. Certaines attestent de la persistance du sport national de l'ère Soeharto : la corruption. A petite échelle, une bière partagée avec le " security " de service permet souvent un " bye bye " jovial au moment de franchir les derniers mètres qui séparent encore de la conférence tant convoitée. Et même les badgés se trouvent parfois rejetés : c'est que les badges ne sont pas pareils et ne constituent pas le sésame pour n'importe quelle conférence, l'électronique décide et ne se laisse courtiser.
 

Manifestation contre la Banque mondiale

Arrivés un par un - calicots soigneusement pliés dans une serviette de cuir noir ou dissimulés dans un sac à dos - une trentaine de personnes se reconnaissent dans la cour qui réunit plusieurs salle de conférence centrées sur l'action des villes du monde. Sous leur T'shirt on découvre des textes écrits directement sur le corps. Les premiers slogans fusent et sont repris en chœur. Des bulés (étrangers) se joignent à eux. Moi aussi. La police n'ose intervenir devant les caméras. La Banque mondiale est conspuée. Les manifestants lui contestent le droit de gérer l'argent des crédits carbone.  C'est que la Banque mondiale finance aussi les exploitations pétrolières. Drôle de mélange en effet. Courageux les Balinais des ONG. Un peu plus tard je me ferai barre la route par un policier qui se souvient m'avoir vu prendre la défense d'un manifestant qui allait se faire ficher. C'est cela aussi la conférence. Tout ne se passe pas dans les salles ou le directeur de la Banque mondiale est applaudi.
 

La victoire des peuples indigènes

Le principal mérite de la conférence est certainement d'avoir permis à des centaines de spécialistes du climat - qui vivent dans des bureaux de verre air conditionnés - d'avoir été confrontés à de nombreux représentants des peuples  indigènes du monde. Ils y connaissent un bout en matière de forêt : ils en vivent. Avec beaucoup de retenue et de dignité, mais avec une grande détermination, ils ont dépassé les problèmes de langue et de culture, pour exiger que la forêt ne se gère pas sans eux dans les bureaux de New York. C'est tout à l'honneur des organisateurs de ne pas leur avoir barré la route.
 

Des transferts de technologie contraignants

L'Indonésie figure parmi les initiateurs de cette exigence de transferts de technologie des pays riches vers les pays du tiers monde. Non une possibilité, mais une contrainte, sans laquelle ces pays ne peuvent lutter contre les changements climatiques. Mais voilà, ce sont les sociétés privées qui disposent des technologies et les gouvernements ne peuvent les contraindre à les partager. Tout au plus peuvent-ils créer des incitants.
A Bali l'ensoleillement est idéal pour la production d'électricité photovoltaïque à des fins familiales ou de petites entreprises et pourtant cette production est très peu développée. Le prix des panneaux, la durée de remboursement de l'investissement et surtout le problème de stockage de l'énergie produite le jour, sont des obstacles de taille. La compagnie nationale d'électricité ne dispose pas de compteurs permettant à la fois de distribuer du courant en soirée (débit) et d'en enregistrer (crédit) en journée.  Reste les batteries !
 

Une journée Nyépi mondiale

A Bali, le jour de Nyépi (nouvel an balinais) on reste chez soi. On n'allume pas la lumière, on n'utilise aucun appareil et on laisse la voiture au garage. Aucun avion n'atterrit à l'aéroport international de Denpasar. Plus fort que la journée sans voiture. Une journée de méditation et une journée de répit pour la terre. Les Balinais ont proposé d'étendre le Nyépi à la planète. Une journée " sans " pour le monde entier. L'idée fait son chemin. Nyépi c'est déjà en mars 2008.
 

Exploiter la forêt sans bûcheron

La forêt primaire de Sinharaja au Sri Lanka est classée patrimoine de l'humanité. Véritable éponge, elle absorbe les pluies et restitue progressivement l'eau par les rivières qui alimentent toutes les régions environnantes. Un programme éducatif permet à la population des villages environnants de pénétrer dans la forêt classée et d'y récolter des fruits, des herbes, de graines, du bois mort, sans rien détruire et sans abattre des arbres. Au dernier bilan, une forêt sur pied rapporte plus qu'une forêt abattue. Avec les crédits carbone ce sera encore plus évident.
 

Les trésors inexploités du bambou

La fondation Kul Kul, près de Mambal à Bali a un projet international " School for live " qu'elle développe sur un terrain de 7 hectares des deux côtés de la rivière Ayung. Elle a choisi le bambou - ou plutôt différents bambous - comme matériau unique de toutes ses constructions, parce qu'il pousse en 5 ans et est donc particulièrement renouvelable. Ils disposent de pépinières, de lieux de séchage et de traitement de ce matériau qui se prête aux projets les plus futuristes de leurs jeunes architectes. Des maquettes de Léonard de Vinci trouvent ici leur concrétisation. Un pont de bambou couvert de 40 mètres de long relie les deux côtés de la vallée. Des classes, les maisons des professeurs, une bibliothèque, une salle de design, sortent de terre. Les chemins sont établis en suivant le tracé de l'eau lors des fortes pluies, ils sont ensuite fixés par des plants de vétiver qui font des racines de 3 mètres de long. La circulation s'effectue à pied et à vélo. L'électricité sera produite sur place par un " Vortex " alimenté par l'eau de la rivière. Des toilettes sèches fournissent du compost et d'autres du biogaz. Un corridor souterrain fournit de l'air frais aux bâtiments dont l'aération naturelle est stimulée…
On l'aura compris, l'utopie prend ici les couleurs de la réalité. Un message d'espoir fort face à la fin du monde annoncée à Nusa Dua!
 

La Belgique à Bali

Malgré l'absence de gouvernement fédéral, la présence belge à la COP était assurée par les ministres Tobback et Huytebroeck au nom du gouvernement fédéral et de la Région de Bruxelles. Leur action auprès de l'Union européenne fut aussi importante. La ministre de l'environnement bruxelloise a profité des tous ses temps libres pour quitter Nusa Dua et descendre sur le terrain. Elle s'est montrée particulièrement intéressée par le projet " School for life ". 
 

La population ébahie

Si les journaux y consacrent 4 pages tous les jours et si les chaînes télé diffusent des reportages quotidiens, la population européenne en sait sans doute plus sur le contenu de la conférence de Bali que les Balinais … Les Balinais sont heureux de voir tant de monde reprendre le chemin de leur île, toujours pas remise de l'impact de l'attentat de Kuta. Pour eux, la vie continue " as usual " et la pollution n'arrête pas ses ravages à leur insu. Dans les rizières on s'étonne de cet intérêt subit pour la nature des fertilisants et des pesticides qu'ils utilisent depuis l'ère Soeharto. On s'étonne aussi de voir s'ouvrir le premier marché bio … dont les clients sont presque tous blancs. Wayan n'en est pas encore revenu des reproches qui lui ont été adressés par un Anglais à propos du plastic qu'il brûlait, comme tous les jours, dans le caniveau de son chemin. Après la conférence, plus rien ne sera tout à fait comme avant. Les pratiques ne changeront pas vite, mais la conscience est là.


Yvan Vandenbergh


… faut que je vous dise que j'ai commandé un vélo électrique présenté à Nusa Dua et fabriqué à Bandung pour 320 EUR. Il me permettra d'affronter les multiples côtes balinaises plus sereinement pendant 40 Km et sans polluer mes voisins. Je compte aussi le louer, pour permettre à d'autres d'en vérifier les bienfaits et sa supériorité écologique sur la moto.
Reste à savoir comment est fabriqué l'électricité qui le recharge chaque nuit, mais elle ne doit pas l'être au milieu d'un village. La voiture solaire, était réservée à Al Gore et je n'ai fait que l'entrevoir.