Le collectif Calvin & Hobbes accueille Barkas, une vieille connaissance, pour ses chroniques.
Chronique écrite en collaboration avec des membres du collectif. Merci à eux pour les propositions de liens.
Valeur, dogme, croyance ne sont-ils pas les enfants d’une même fratrie. Si le premier terme conserve la sienne, quand bien même, il serait mis à toutes les sauces, les deux suivants s’opposent réellement à un sens critique normalement développé.
Dans la précédente livraison de notre chronique, en visitant le monde des morts, nous remettions en question la capacité de raisonnement des vivants, adeptes fervents du cliché, ce que nous pourrions illustrer par « Si les morts ne se valent pas, les Maures seraient bien, eux, tous les mêmes ».
La meilleure réponse aux dogmes, aux croyances, aux clichés dans ce qu’ils ont de néfaste est bien entendu cet esprit critique.
Dans son Histoire des oracles (Wikibooks : Histoire des oracles), Fontenelle raconte la plaisante anecdote suivante :
« En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstadt, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant, pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni au Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eût examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre. »
Le dogme n’est pas qu’affaire de religions. En tant qu’affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité ou par un groupe d’individus, il est usé par tous ceux qui préfèrent le raccourci à l’analyse.
Le débat autour du CETA (Accord économique et commercial global (AECG)) illustre parfaitement cet usage constant. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui sont dans un camp ou dans un autre soient incapables de réflexions. Mais nombreux sont ceux, et pas seulement chez les citoyens, dont le « raisonnement » ne se base que sur les dogmes de leur groupe. Et quand il y a dogme, il y a anathème, procès d’hérésie. Pression du clergé européen sur les (in)fidèles wallons, par exemple. Serait-ce parce que la politique ne peut se faire qu’à l’emporte-pièce et ne souffre pas de la réflexion, parce qu’une paresse intellectuelle ambiante nous empêche de vouloir réfléchir, que les courtes sentences accompagnent les idées courtes, que la manipulation a besoin de cela[i], que le dogme connait un tel usage ? Usage dont on accuse l’adversaire pour le dénigrer.
Mais exercer son esprit critique demande de l’énergie que chacun n’est pas prêt à déployer, ce qui fait, dit-on l’affaire de certains, populistes ou non. L’accès à une information objective est déjà une gageure. Et l’intervention des experts n’est pas toujours un gage d’impartialité. Peut-on reconnaître au Ministre-Président wallon les vertus du professeur Magnette, spécialisé en « affaires européennes » ? Le recours à l’orfèvre ne permet pas toujours d’approcher la vérité, parce que l’expert n’est pas (toujours) neutre ou n’a pas l’expérience qu’on lui prête.
Le dogme n’est peut-être finalement qu’une idée reçue qui aurait réussi, comme une religion serait une secte qui aurait pignon sur rue.
Ainsi en matière de sécurité routière : « Nul ne se risque à penser qu’un acte aussi personnel que la conduite d’un véhicule puisse être influencé par les inégalités sociales et que la hausse du nombre de morts puisse découler de la précarisation des classes populaires. Pourtant, un accident de la route n’a souvent rien d’accidentel : il obéit à des régularités statistiques et demeure, indépendamment de son caractère singulier, le résultat prévisible de déterminations collectives. C’est un fait social qui ne se réduit pas aux agissements volontaires des individus. [ii]» La seconde position renvoie au fonctionnement général de la société ce qui est en soi plus gênant pour le pouvoir.
Le voile, si présent dans les sociétés musulmanes actuelles, n’a pourtant pas toujours eu bonne presse dans ces sociétés. Dans les années 50 ou 60, on pouvait se gausser en Egypte de ceux qui voulaient en imposer le port. Alors qu’au même moment, dans les églises catholiques, les (certaines) femmes mettaient un foulard pour ne pas paraître en cheveux, et sans compter les coiffes des religieuses[iii] que le concile Vatican II a simplifié[iv].
Cette vidéo dit […] qu’il fut une époque, en Egypte, où l’idée de voiler les femmes faisait simplement rire. On n’entend qu’une chose, ces rires à gorge déployée qui nous parviennent à travers les décennies, ces rires incroyables, inimaginables, libérateurs, qui crèvent le mur des polémiques maussades, et mesurent mieux que tous les discours l’épouvantable chemin parcouru[v].
Le port des vêtements pour les femmes fait aussi l’objet d’idées précises… Le port du bikini est une « valeur » des plages françaises, mais interdit de concert, sous la pression des religieux, en Israël pour ne pas choquer le « grand public » : « Le ministère de la Culture israélien a annoncé que les artistes qui se produisent à des concerts financés par le gouvernement devront respecter certaines règles de pudeur vestimentaire » . Pourtant dans l’esprit de nombre d’entre nous, la société israélienne est considérée comme moderne… « De nombreux éditorialistes ont fait le parallèle entre l'interdiction du bikini et l'interdiction du burkini en France, comme Alona Ferber, qui écrit que dans les deux cas, «on demande aux femmes de s'habiller ou de se déshabiller pour apaiser la nation.[vi]» illustrant la soumission de la femme bien ancrée dans la tête des hommes.
L’usage d’un mot est aussi générateur d’idées reçues. Le terme « terrorisme » par exemple. « D’un point de vue strictement juridique, rien ne justifie ainsi que l’appellation [ de terrorisme] soit réservée à des attentats à l’explosif par un mouvement régionaliste plutôt qu’à la destruction méthodique de portiques de contrôle par des chauffeurs routiers, les deux actes pouvant être analysés comme destinés à intimider les pouvoirs publics en troublant l’ordre public. [vii]» Et pourtant, dans nos têtes…
Le terme « colonisation » est un autre exemple pour lequel existe une fracture bien réelle entre les tenants d’un colonisateur abuseur et celui dispensateur de culture. Certains sont d’ailleurs prêts à réécrire l’histoire, pour faire resurgir le dogme de la « Grandeur de la France civilisatrice ». Ils sont même candidats à la présidentielle… comme François Fillon : « Mais pour "retrouver la confiance dans notre patrie", le candidat à la primaire propose surtout de "revoir l'enseignement de l'histoire à l'école primaire", ce afin que les maîtres ne soient "plus obligés d'apprendre aux enfants à comprendre que le passé est source d'interrogations". "Faire douter de notre Histoire: cette instruction est honteuse!" a-t-il lancé. [viii]»
Il ne faut cependant pas voir l’esprit critique comme une arme pour combattre la foi. Chacun a le droit de croire en quelque chose: à un ami imaginaire, au pouvoir du cervelas ou des régimes amaigrissants, à la grandeur de son parti ou de son pays. Chacun peut user du dogme. Mais l’esprit critique est là pour contrer les effets éventuellement dévastateurs de nos croyances et de nos ignorances.
PS. Lisez également ceci : http://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/BISSELL/56089
[i] Je ne sais pourquoi, mais je trouve un lien avec Noyer l’absurdité d’une guerre dans des flots d’alcool, Le « pinard » ou le sang des poilus http://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/LUCAND/56091
[ii] A lire avec un esprit critique http://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/GROSSETETE/56078