Le collectif Calvin & Hobbes accueille Barkas, une vieille connaissance, pour une série de chroniques.
Mon surnom est Barkas, depuis plus de trente ans. Au goût immodéré pour les Golf Gti, je préférais les banquettes défoncées de mon minibus Barkas, une de ces camionnettes déjà démodées avant d’être vendues. J’aimais ses lignes improbables, d’un style est-teuton.
C’était un importateur de la région bruxelloise qui en faisait la promotion, en vantant ses mérites de solidité et de fiabilité, la Lada de la camionnette. J’aimais vraiment bien cet engin. Il ne m’emmenait pas loin, au café, ou alors autour du lac de Genval pour pétarader. Parader aurait été incongru avec cet engin. Etonnamment, les filles l’adoraient, enfin certaines, les plus baba-cools. Les autres préféraient la bonne tenue de toutes les Gti de l’époque.
Il n’empêche, quand on partait aux barrages de l’Eau d’Heure, bien à temps, pour profiter du voyage et de la vitesse limitée, il avait son petit succès, mon minibus. Et encore plus la nuit, parce que les tentes percées ou les Golf, ce n’est guère confortable pour dormir. Il a fini par être plus connu que moi, peut-être à cause de ses dessins fleuris, et je n’étais plus que son serviteur, le chauffeur de Barkas.
La bête a depuis rendu l’âme, mais le surnom est resté. Je ne m’en plains pas.
On courait à l’époque après les vestes, les vessies avais-je commencé à écrire, Millet. On ne roulait plus en vélo, ni même sur des mobylettes Amigo ou Camino, mais sur des « enduros » Aprilia qui coutaient la peau des fesses. Les marques s’implantaient bien et la « crise » ne les empêchait pas de progresser. T’avais pas les trois bandes d’Adidas, t’étais ringard. Je l’ai été souvent.
On écoutait Machiavel ou Yes. Certains avaient le pognon pour acheter des Lp’s. Les autres les piquaient, ou plus sagement les empruntaient pour les copier sur cassettes ferrugineuses (sic). J’écumais le discobus à la recherche de Led Zep ou de Manfred Mann's Earth Band. Fallait que je ruse avec mon père qui m’avait confisqué mon Deck cassettes.
La société de consommation était bien là, bien ancrée. Elle n’était plus comme dans les années cinquante, soixante, celle qui offrait une « meilleure qualité de vie », mais celle à laquelle il fallait se soumettre pour ne pas être abandonné au bord de la route.
Il y avait bien des voix (ou des voies dissidentes) dans des maisons de jeune ou la création en ’76 des Amis de la Terre. Les accidents pétroliers de l'Amoco Cadiz en 1978 ou nucléaires Three Mile Island en 1979 ou plus tard, l'installation de missiles américains en Europe ont fait réagir. La plus grande manifestation jamais organisée en Belgique a eu lieu le 23 octobre 1985 pour lutter contre la présence de missiles nucléaires américains. Elle avait rassemblé plus de 400 000 personnes. J’y étais.
Mais peu à peu, la capacité d’indignation s’est éteinte. De moins en moins de gens dans les rues pour protester, ou pour alors, pour des situations révoltantes, comme la marche blanche de 1996, il y a presque vingt ans déjà, mais de plus en plus de gens dans les magasins ou sur le web pour acheter.
L’équité sociale, une société plus égalitaire ou simplement plus respectueuse, des principes environnementaux, des réflexions pour l’avenir qui ne soient pas de perpétuelles resucées ne font plus réellement partie de nos envies, de nos désirs. Et le politique n’y met pas du sien non plus, lui dont les seules mots sont croissance ou réforme sans fondement. Le seul rêve que beaucoup proposent est de nous rendre du pouvoir d’achat. Aucunement pour améliorer notre bien-être, mais seulement pour que nous consommions et fassions tourner la machine qui doit se perpétuer.
Le pouvoir d’achat est certainement le concept le plus vide, le plus con et le plus destructeur qui soit.