Tiens, à en croire les journaux, le Canada met tous ses espoirs dans une jeune femme, Eugenie Bouchard. Est-elle un génie scientifique, un leader politique, une combattante pour les droits des femmes, une sainte ?
Non, elle joue simplement au tennis. Sans doute pas trop mal. Mais tout ce qu’elle fait est de jouer à la baballe. Nous devrions être habitués à ce que l’on nous vende les sportifs comme les sauveurs de la patrie, alors que ce ne sont que des commerçants qui monnayent leur corps. C’est d’autant plus flagrant que les reportages qui la concernaient parlaient des millions qu’elle allait gagner en usant ses petits tamis sur les courts.
Bien entendu, nous ne pouvons qu’être jaloux de cette réussite, lanceront cinglants les commentateurs des forums. Et bien non, nous ne sommes pas jaloux. Simplement dégoûtés. Dégoûtés d’entendre que le sport, que l’on nous vante, comme formateur, comme équilibrant, n’est qu’une pompe à fric et à énergie et que finalement peu de gens s’en offusquent.
Que les Diables rouges reçoivent une prime de deux cents mille euros ne mériteraient-ils pas un débat ? (On parle d’eux parce qu’ils sont dans l’actualité. Cela pourrait être n’importe quel sportif de haut niveau dans un sport « bancable »). Certains expliquent cela par la loi de l’offre et de la demande. A quelle sauce ne la met-on pas cette loi ?
Effectivement, c’est sympa un match de foot. Une occasion de rencontrer ses potes, de faire une sortie, d’admirer un style. C’est un peu comme aller au cirque voir les clowns ou les funambules.
Effectivement, c’est rassembleur le foot, mais cela rassemble qui et pour quoi ? Faut-il croire que cela est suffisant pour fédérer un pays ? Pour créer une unité ? Celui qui y croit est d’une naïveté déconcertante.
Entendons-nous bien. S’interroger sur les sportifs nantis ou la coupe du monde de foot n’implique pas de remettre en question la pratique du sport ou la convivialité des stades, quand elle existe.
Se poser des questions sur les salaires des joueurs, c’est mettre en évidence la disparité des attitudes, comme le relève cet article « Le message grec, la face radieuse du Mondial ».
Je devine la vague d’incompréhension qui submerge vos cerveaux ainsi que les remarques et sarcasmes qu’elle ne manquera pas de laisser derrière elle. Je vous rassure donc : je ne suis pas victime d’un abus de Retsina, Ouzo, Tsipouro ou Metaxa. Mon admiration ne porte pas sur le jeu rugueux et jusqu’au-boutiste déployé par la sélection hellène, ni sur son parcours stoppé en 8ème de finale par « la belle surprise de ce Mondial », le Costa Rica. Ce que je veux mettre ici en exergue, c’est la décision de ces joueurs de renoncer à leur prime de qualification. « Nous ne voulons pas de cet argent. Nous jouons pour la Grèce, pour le peuple grec » ont-ils en effet déclaré en ajoutant ce commentaire qui les grandit encore : « Nous sommes déjà suffisamment bien payés ». Et d’inviter leur gouvernement à utiliser la somme qui leur était dévolue pour financer la construction d’un nouveau centre d’entraînement.
Se poser des questions sur l’attitude des supporters est tout aussi légitime. Dans un billet d’humeur « Faites du foot, pas la guerre? Cette hystérie collective fait peur », Stéphane Detaille met les pieds dans le plat.
Je me méfie, moi, de ces foules démâtées, hystériques, allumées – fanatisées ! – dont la frénésie cocardière menace, à tout moment, de basculer dans l’odieux. Tous ces fans parqués par milliers devant des écrans géants, entre cagnard et Stella. Galvanisés. Remontés comme des pendules. Sûrs d’être les dépositaires, et les premiers garants, de l’honneur de la Nation. Qu’y z’y viennent les Popov, les Mohamed, les Yankees, les niakoués : ça va ch… dans l’ventilo. Psychologie des foules, prédication de masse.
J’étais dans la cohue, le jour où la Belgique a joué la Russie. A vue de nez, il n’y avait là que des familles aux anges et des groupes bambochards de potes emperruqués qui pogotaient sur du Grand Jojo. Puis tout s’est passé comme si la victoire avait investi la foule d’un sentiment de toute-puissance qui, la minute d’après, se cherchait un exutoire. L’impression confuse qu’un rien aurait suffi, soudainement, à allumer la mèche, à provoquer l’explosion. C’était étrange.
Sentiment exagéré, posture d’intellectuel, mépris ou avertissement légitime d’un risque de dérive. Le débat qui suit l’article est assez éclairant. Expression de rejet ou de valeur. Besoin d’élément fédérateur, ne serait-ce qu’autour d’une balle. Incompréhension entre les parties.
Se poser des questions sur la Fifa, organisatrice de cette coupe, sur le championnat, sur son coût, ouvre un troisième débat sur ces organisations supranationales, qui imposent aux états leurs règles (et leurs sponsors). Avec des dirigeants assez méprisants, mais surtout méprisables dans leur manière de défendre leur petit business. Ainsi Platini…
"Le Brésil, faites un effort pendant un mois, calmez-vous ! Rendez hommage à cette belle Coupe du monde. On a été au Brésil pour leur faire plaisir. C’est comme si les musulmans allaient à la Mecque, les chrétiens à Rome et les juifs à Jérusalem. C’est exactement ça d’aller à la Coupe du monde au Brésil et c’est pour ça que tout le monde s’en fait une joie.
Eh bien les Brésiliens, il faut qu’ils se mettent dans l’idée de recevoir les touristes du monde entier et que pendant un mois, ils fassent une trêve. Pas des confiseurs, mais qu’ils fassent une trêve. Il faut dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer la beauté de leur pays et leur passion pour leur football. S’ils peuvent attendre au moins un mois avant de faire des éclats sociaux, ça serait bien pour l’ensemble du Brésil et la planète football."
Pour le "Dieu" Platini, le football est donc une religion et la Coupe du monde est son pèlerinage que rien ne doit venir troubler. Pour le bien-être de ses fidèles les plus fortunés.
[…] Il semble être complètement déconnecté de la réalité. De nombreux Brésiliens vivent dans des conditions extrêmement difficiles : chômage, précarité, inflation, baisse du pouvoir d’achat. Cela n’a aucune importance pour lui. Après tout, le peuple peut bien attendre. Ils veulent du pain ? Qu’on leur donne des jeux ! Les Brésiliens n’ont plus le cœur à faire la fête depuis longtemps. D’ailleurs, la plupart suivront la Coupe du monde à la télévision, comme le reste de la planète. Seuls quelques privilégiés et les étrangers ont les moyens financiers d’assister aux matches dans les stades. Leur demander d’attendre la fin de la Coupe du monde pour manifester leur mécontentement, c’est complètement ridicule et indécent. Sans compter qu’ils en ont gros sur le cœur car elle leur coûte déjà très chère cette fameuse fête mondiale du football : plus de dix milliards d’euros. Et la facture risque encore de s’alourdir.
Et ça au moins devrait nous parler. Notre plaisir a un coût que d’autres ont dû supporter. Et cela est sans doute suffisant pour ternir l’image de la fête du foot. Et cela on ne nous l’ôtera pas de la tête.
Le collectif Calvin & Hobbes