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Les chroniques de Barkas : L’élection de Trump est la victoire du dogme (de l’idée à l’emporte-pièce) sur la raison (2)

• Vendredi 18/11/2016 • Version imprimable

Faisan doré - Jmhullot  Le collectif accueille , une vieille connaissance, pour ses chroniques.

Chronique écrite en collaboration avec des membres du collectif. Merci à eux pour les propositions de liens.

Signé :

Et si finalement, ce n’était pas (totalement) une revanche contre la finance, la mondialisation,… Et si finalement, ce n’était pas (totalement) la victoire du peuple contre les élites,… Et si finalement, c’était la victoire de la bêtise, de la paresse à penser, celle de ceux qui n’aiment personne, pour qui, les homosexuels sont des anormaux que l’on peut guérir à coût de prêche, les femmes des putes ou des bonniches, les étrangers toujours profiteurs et l’homme blanc religieux, le seigneur du royaume…

Ou pas.
Ainsi m’écrivait un mien ami…

Quand un de tes amis prend le volant de sa voiture, après un repas arrosé, n’as-tu envie de le traiter de gros con ? Et s’il a un accident, n’as-tu pas envie de passer à la vitesse supérieure ? C’est somme toute et sans doute légitime.

Mais la question reste, pourquoi deux individus au même taux d’alcoolémie auront-ils un comportement différent ? (Comme je ne suis pas un spécialiste de cette addiction comme praticien ou comme pratiquant, vous excuserez, j’espère, mes raccourcis). Est-ce une question culturelle (au sens de la culture de groupe), d’éducation fondamentale,  de prescrits publicitaires, de machisme, d’envie suicidaire ? Il n’empêche que nombre d’entre nous considèrent cela comme une action stupide, voire mortifère ?

Mais il n’est pas de bon ton de considérer certains votes de la même manière. Pourtant, ce n’est l’envie qui me manque[1]. Voter pour une équipe dans laquelle, les valeurs prônées sont un mélange de conservatisme exacerbé, de racisme, de misogynie, de créationnisme, de goût pour l’argent, de religion[2], ne démontre pas une envie réelle de changement. Notons que dans certains pays, le « racisme » n’est pas une opinion, mais un délit. Notons que le créationnisme n’est pas une théorie scientifique mais une simple opinion religieuse, défendue dans certaines de ses formes par de réels  demeurés[3] .

Ceux qui veulent comprendre les votes de leurs contemporains ont énormément de pistes de réflexions, mais il n’y a aucune explication unique. Ceux qui veulent éviter le retour à des jours noirs peuvent se tourner vers de multiples solutions sans être certains qu’elles soient efficaces.

Une chose à faire, mais en fait, parfois psychologiquement difficile, est de briser la bulle de filtrage dans laquelle nous placent les technologies et médias modernes. Dans son article « Bulles de filtrage : il y a 58 millions d’électeurs pro-Trump et je n’en ai vu aucun[4] », Julien Cadot évoque deux choses intéressantes, d’une part, la bulle de filtrage, qui enferme une personne dans une image du monde qu’elle projette par des recommandations toujours plus ciblées, poussées par des algorithmes  ; d’autre part, le biais de confirmation. Article très intéressant à lire.

Même si les commentateurs sur les forums de journaux ou les réseaux sociaux ne peuvent être représentatifs de l’état de l’opinion, il n’en reste pas moins que le ton, les sujets développés expriment une tendance que l’on ne devrait pas ignorer, dans laquelle se mélangent le rejet, la haine, le dogme, le goût pour le conspirationnisme[5]… Entamer le dialogue relève de la gageure et pourtant certains s’y attèlent. Est-ce en pure perte ? Peut-être pas. En tous les cas, cela ne laisse pas le terrain libre et permet de toucher les indécis.

Pourrions-nous tenter l’humour, le second degré ? C’est apparemment un jeu dangereux qu’a joué Jean-Louis Aphatie «Si un jour je suis élu président de la République, savez-vous quelle est la première mesure que je prendrais? Je raserais le château de Versailles. [...] Pour qu'on n'aille pas là-bas en pèlerinage pour cultiver la grandeur de la France.[6] » Les citoyens, mais surtout les politiques s’emballent au lieu de réfléchir et de vérifier.

Parlons-en des medias. Y a-t-il finalement des medias de grande écoute qui assurent une couverture suffisamment objectives dans les faits ? Quel est leur degré d’influence sur leurs lecteurs ou auditeurs ? Quelles sont les conséquences de leurs erreurs ou de leurs prises de position ?

Ce jeudi, plusieurs téléspectateurs attentifs ont été surpris par la transition assez maladroite du présentateur Jean-Pierre Pernaut. En effet, le journaliste a conclu un reportage sur les SDF avec une phrase qui fait polémique. «  Il n’y a plus de place pour les sans-abri mais en même temps les centres pour migrants continuent à ouvrir  », a-t-il commenté avant de lancer un reportage sur les migrants.[7]

Préoccupant également est le rôle joué par Facebook et Google dans la propagation de fausses informations avérées.

Une enquête de Buzzfeed menée sur les six pages les plus partisanes du réseau social révélait il y a quelques semaines que 19 % des posts d’ultragauche contenaient des fausses informations, et 38 % pour celles d’extrême droite. Surtout, les articles de ces pages contenant des intox étaient plus largement partagés que ceux relayant des faits exacts. […]

[Facebook] se retranche derrière l’idée selon laquelle les intox ont toujours existé dans le débat public. Grâce aux réseaux sociaux, celles-ci circulent pourtant beaucoup plus rapidement et sont susceptibles d’atteindre un public bien plus large. [8]

Par ailleurs, le « fact checking » est un outil intéressant pour démonter les erreurs ou les mensonges (essentiellement dans les discours politiques) afin de ramener une certaine objectivité. Mais il faut que le contradicteur accepte de débattre et il faut une source sérieuse pour s’informer[9], une source acceptée par les parties, ce qui n’est pas acquis vu le manque de confiance témoigné aux medias.

Les références historiques sont aussi intéressantes quand elles sont pertinentes, quand bien même elles seraient provocatrices pour les contempteurs de la raison.

Noam Chomsky fait l’analogie entre la crise des années trente et son cortège de misère et la situation actuelle.

« C’est intéressant de comparer la situation des années 30, que je suis assez âgé pour m’en rappeler”, a-t-il déclaré. “Objectivement, la pauvreté et la souffrance étaient plus grandes, mais même chez les pauvres travailleurs et les personnes au chômage, il y a avait de l’espoir qui manque aujourd’hui”, a-t-il ajouté. Noam Chomsky attribue une partie de cet espoir durant la Crise à la croissance d’un mouvement ouvrier agressif ainsi qu’à l’existence des organisations politiques en dehors du courant dominant. Aujourd’hui, cependant, il estime que l’atmosphère est assez différente pour les Américains qui sont profondément affectés par la pauvreté.

“[Ils] sont en train de sombrer dans le désespoir et la colère, pas vraiment orientés contre les institutions qui sont les agents de la dissolution de leurs vies et du monde, mais contre ceux qui sont encore plus sévèrement pris pour cible”, a-t-il déclaré. “Les signes sont familiers, et ils évoquent ici certains souvenirs de l’émergence du fascisme européen”, a-t-il conclu.[10] »

L'histoire et la psychiatrie peuvent expliquer l'élection de Donald Trump. Le psychiatre Boris Cyrulnik et la spécialiste de l'Allemagne, Isabelle Davion décryptent cette élection et réfléchissent au parallèle avec les années 30

Il ne s'agit pas du même phénomène que le nazisme, mais cette élection comme l'accession au pouvoir d'Hitler, de Pétain, d'Erdogan ou de Morsi démontre l'existence d'une défaillance culturelle". En effet, selon lui, le clivage dans la population de nombreux pays comme les Etats-Unis se creuse désormais selon un critère principal, l'accès ou non à la culture.[…]

 Avec le slogan "Make America great again", [Donald Trump ]promet la restauration d'un passé idéalisé. "C'est une promesse classique, celle de rendre le pays comme il l'était, de le redresser, analyse Isabelle Davion. De mauvaises décisions ont été prises, un nouveau mouvement propose donc de revenir à un passé où la crise n'a pas eu lieu, grâce à des solutions simples où la complexité du réel est effacée et où un ennemi est clairement défini: les Juifs, les immigrés."[11].

Il faut donc donner la possibilité au citoyen de comprendre le monde et de se réapproprier son destin.

François Rachline prétend que « si l'on donne les moyens aux individus d’être intelligents, ils le sont. [12]»

Cela suppose une refonte de notre démocratie représentative, de la part du citoyen et de ses élus. Faut-il suivre François Rachline dans sa volonté d’intégrer les citoyens à la délibération ?

D’un côté, les élections organisées tous les quatre, cinq ou six ans, ici en France ou ailleurs dans le monde des pays démocratiques, moment où les citoyens sont appelés aux urnes; de l’autre, à tout moment, l’expression des citoyens sur tout ce qui leur paraît justifier une prise de position. D’un côté, le mutisme pendant des années, avant de mettre un bulletin dans l’isoloir; de l’autre, une parole journalière, débridée. De cet écart naît, chez certains, ou l’exaspération à l’égard d’institutions qui tranchent pour leur vie sans qu’ils aient eu à en connaître, ou le rejet pur et simple de ce qu’on appelle encore la démocratie. La solution est dans la diminution, ou la suppression si possible, de cet écart. Comment changer la démocratie représentative pour qu’elle ne se suicide pas? En intégrant les citoyens dans la délibération. «L’organisation de la délibération», pour reprendre une formule de Pierre Rosanvallon, est urgente. Quand on permet aux citoyens de délibérer sur ce qui conditionne et détermine leur existence, ils deviennent associés au processus de décision. D’aucuns pourraient estimer que ce serait un autre danger pour la démocratie représentative que de s’en remettre à des citoyens non avertis. C’est souvent la position de ce qu’on dénomme les «élites». En réalité, quand on maintient les individus dans l’ignorance, ils ne peuvent que se révolter, de temps à autre, mais quand on leur donne les moyens d’être intelligents, ils le sont. Nous disposons aujourd’hui de ces moyens, grâce à la métamorphose numérique. Le monde autrefois diffus des individus est désormais accessible. Il est temps que nos démocraties renouent le dialogue direct avec leurs citoyens.[13]

Réfléchissons à tout cela…

Regardez cette livraison de Kiosque sur TV5 et le positionnement intéressant de Marie-Roger Biloa.

Et faisons-nous plaisir avec ces cinq Américaines, élues le 8 novembre 2016, qui nous font oublier Donald Trump parce que voir le positif est bon pour le moral.