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Les beaufs au bois dormant

• Mercredi 20/04/2011 • Version imprimable

Dormons sur nos deux oreilles. Rien ne se passe, rien de rien. Tout au plus devons-nous inquiéter du prix du carburant et de nos vacances futures. Les centrales nucléaires vont bien et ne risquent rien. Les quelques fissures trouvées n’ont rien de dramatique1. Nos chercheurs cherchant et nos ingénieurs ingénieux nous trouveront une solution à tout. Il est moins une et tout va bien.

Il est certain que l’automobiliste est prêt à tout pour continuer à alimenter sa voiture. Dieu, pourrions-nous passer de nos lourds bolides ? Que l’état diminue ses accises, que l’on nous rende une essence bon marché. Pourtant, les accises sont une manière de redistribuer les revenus.

Il est certain que le consommateur est prêt à tout pour conserver ses possibilités de consommer toujours plus. Dieu, n’est-ce pas une bonne chose pour la croissance ?

Ne devrions-nous pas nous réveiller ? Ne devrions-nous nous interroger sur les options énergétiques qui se présentent à nous ? Encore faudrait-il que nous soyons informés ou qu’à tout le moins, nous prenions la peine de nous informer.

Il y a quelques temps, un ministre français a autorisé des forages de prospection2 pour du gaz de schiste. En quelques mois, un rétropédalage violent avec différentes propositions de loi pour interdire l’exploitation à cause des risques sanitaires et environnementaux. Tout cela suit à un film dont on peut mettre en doute l’objectivité affirme, dans « C dans l’air », Jean-Louis Schilansky, le Président de l'Union Française des Industries Pétrolières3 (UFIP). Pourtant, éluder par exemple, simplement, la grande consommation d’eau pour la production de ce « carburant » est déjà faire injure à notre entendement. Ainsi, comme le rapporte un intervenant de l’émission, où trouvera-t-on l’eau nécessaire pour une exploitation sur le plateau plutôt aride du Larzac ? Mais ces impacts toucheront-ils les automobilistes ? Ces informations percoleront-elles dans le public ? Nous pouvons en douter à entendre les représentants des automobilistes prêts à soutenir les revendications des usagers : « Donnez-nous notre essence quotidienne ».

Un sondage récent4 affirme que les Belges ne s’inquiètent guère de leurs centrales nucléaires. Mais sur quoi fondent-ils leur opinion ? S’opposer au nucléaire, taxer les producteurs,… feraient-ils le lit de la misère, de la régression ? Cette angoisse semble plus forte qu’un accident que beaucoup croient encore hypothétique. Veulent-ils ignorer que les accidents ukrainien et japonais ont eu des conséquences pour nous ? Mais est-ce finalement leur unique faute ? Sont-ils au courant seulement de l’essentiel ? Ainsi Les risques associés à la contamination à l'iode-131 en Europe ne sont plus « négligeables », selon le CRIIRAD, un organisme français de recherche sur la radioactivité. L'ONG met en garde les femmes enceintes et les enfants contre les « comportements à risque 5». Cette avertissement de l’ONG française serait également valable pour la Belgique. A-t-on lu quelque chose en ce sens dans les communiqués officielles ou dans la presse. Pour informer, infirmer ou confirmer ? Je n’ai personnellement rien vu.

De toute manière, l’information en la matière restera avant longtemps parcellaire. Parfois, pour de « bonnes » raisons de sécurité publique, il serait malvenu de dévoiler les faiblesses des centrales à des terroristes potentiels. Ainsi en Suisse, Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, la HSK a travaillé sur l'évaluation des risques associés à des chutes d’avions sur des installations nucléaires. Seul un résumé de cette étude a été rendu public en mars 2003. Le rapport intégral précisant la méthode d’évaluation utilisée, détaillant et chiffrant l’étendue de la catastrophe, est réservé exclusivement à la HSK. Il n’a même pas été transmis à la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires : « l’administration a jugé que la Commission consultative auprès du gouvernement ne pouvait pas avoir accès à toutes ces informations ». On pourra toujours se rassurer en se disant que la Suisse n’est pas une cible prioritaire pour les terroristes. " Il n’y a pas que les terroristes que posent problèmes : les avions peuvent aussi tomber tout seuls ", remarque à Genève le porte-parole de Greenpeace-Suisse, Clément Tolusso, qui évoque le cas d’un petit appareil qui était il y a quelques années « tombé à quelques kilomètres d’une centrale nucléaire après son décollage à l’aéroport de Kloten-Zurich »6. Ce qui revient à dire que faute de ces informations, réservées à un cercle restreint, dont sont même exclus des représentants de la population, la réflexion citoyenne peut avoir difficilement lieu.

Pire, et prenons encore l’exemple suisse de l’industrie nucléaire mais cela est valable pour bien d’autres, l’investissement dans la communication est effarant. Le Forum nucléaire suisse a engagé depuis 2006, avec l'argent de nos factures d'électricité, des pros de la communication: Burson-Marsteller7. Cette multinationale américaine a travaillé pour le dictateur chilien Augusto Pinochet, pour la junte militaire argentine. Elle travaille pour l'administration Bush empêtrée en Irak, et en Suisse ces quinze dernières années pour promouvoir les biotechnologies et le génie génétique et avait enrôlé pour sa direction suisse Lorenz Hess, député UDC et actuel président de l'association des communes bernoises. Ce dernier occupait jusque-là le poste de chef du service d'information de l'Office fédéral de la santé publique8. (Une proximité avec des fonctionnaires fédéraux épinglée par certains observateurs).

Est-ce pour autant qu’une sensibilisation du citoyen est impossible ? Certes, s’il faut travailler sur les modes de vie et de pensée, lutter contre la paresse naturelle de chacun, exiger des informations objectives, contrecarrer une communication puissante, cela semble être une tâche insurmontable. Mais l’exemple de l’industrie du tabac pourrait conforter dans leurs démarches les tenants d’un débat démocratique sur les options énergétiques. Personne n’ignore plus les méfaits du tabagisme et en mesure les conséquences. Les pouvoirs publics en ont également tiré des conclusions.

Ici, comme le sujet est plus complexe, le chemin sera assurément plus long et peut-être n’avons-nous pas le temps ? Alors, jouera sans doute la pédagogie des catastrophes récurrentes. Mais pour ce que cela vaut.

Donc, réveillons-nous et nos voisins par la même occasion.

Denis MARION

Entrepreneur sans but lucratif