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Le marché de la batte.

• Mardi 16/12/2014 • Version imprimable

Un récit de ,
présenté par le collectif
 
-       Cela ne te sera pas facile de marcher avec des béquilles !
-       Pourquoi me dis-tu cela?
-       Parce que j'aime passionnément le base-ball.
-       J’ai peur de comprendre. Tu désirais me faire tâter d’une batte ?

-       Putain, oui. Te flinguer les genoux de gros con vicieux, pourri dans la tête. Pourquoi, cela t’étonne.

-       Heu. Oui, plutôt. Qu’est-ce je t’ai fait ? Et tu voudrais faire cela toute seule ?

-       Toute seule. Sans problème, mon couillon. Depuis que la boîte nous a payé des cours de self-défense, je n’ai plus vraiment peur de connards comme toi. Les blondinettes ne sont pas des klettes.

-       Mais bordel, que me reproches-tu ?

-       Tu es mou, lâche. Tu nous emmerdes ! T’es incapable de nous aider, mais tu dois toujours la ramener. Tu ne comprends rien à notre métier, mais tu n’as même pas l’humilité de le reconnaître pour toi-même. C’est fini la fabrique de sucettes. T’es dans du technologique !

-       Mais tu n’as pas peur que je t’enregistre là-maintenant ?

-       Putain ! T’es même capable d’ouvrir correctement un . Alors un enregistreur.

-       Mais je peux te faire payer cela, me plaindre à la direction.

-       Peut-être que oui, peut-être que non. Mais te voir avec des béquilles me contentera. Et puis, on a beau être dans un monde machiste, je pourrais parler de harcèlement. Tout le monde a remarqué ton envie de baver sur mes nichons. T’es l’exemple type du principe de Peter.

Ce n’est pas mon habitude de parler aussi vulgairement et d’émailler mon discours de « putain ». Mais parfois, l’envie me démange d’exprimer toute cette violence que je ressens dans mon milieu professionnel (mais pas uniquement là).
 
D’abord votre conservatisme machiste qui place les femmes au même rang que des potiches. Pour exprimer votre racisme ordinaire, nous vous entendons à longueur de journée critiquer ces religieux orientaux pour qui la femme est un simple objet, mais aucune religion n’y échappe. Et la vôtre encore moins. Dans vos campagnes de pub, qui sont votre bible, la femme n’est qu’un corps à  prendre. (J’entends déjà les commentaires de mes collègues : elle vient avec ces considérations alors qu’elle se promène tous les jours sur ses hauts talons. Hé, c’est ma liberté, point-barre !)
 
Ensuite votre milieu hiérarchisé où le premier et dernier argument est « Je suis le chef ». Toute cette consommation d’énergie, cette destruction de valeur pour satisfaire de petits potentats (répugnants).
 
Il y a aussi votre monde politique qui croit qu’il faut tout donner à l’entreprise. Elle m’a pris un mari et un amant, des années de jeunesse, pour certes un bon salaire, mais à trente-trois ans, je suis seule.

Je me demande (en fait, j’en suis sûre) si pendant tout ce temps, on ne m’a pas leurrée, lavé le cerveau, me poussant à croire au bonheur d’être consommatrice, de se soumettre aux diktats de l’économie et de vivre individuellement ma carrière.
 
Et à lire les commentaires sur les forums,  je ne suis pas la seule à être leurrée. Critiquant grève et grévistes, combien ne jouent-ils pas leur rôle de larbin en se croyant coupables de tous les péchés de la terre qu’il nous faut expier. Il paraît que je coûte cher. Mais, pour rémunérer les actionnaires de ma boite, il faut, paraît-il, cinq fois plus de temps maintenant qu’en 1984.
 
Et pourtant, je reste. Je suis ingénieure-architecte, je pourrais faire autre chose mais je pratique si peu mon art et certainement pas pour le bien d’autrui. Je suis engluée dans ce monde. Que faudrait-il pour que j’en échappe ? Alors, cette violence que j’ai exprimée au début, elle est aussi tournée vers moi. Je m’en veux de cette inaction. Et puis, serait-ce moral de briser les deux genoux à un être aussi laid, frustré et vil ?