Carte blanche de JB Godinot parue dans La Libre du 14/01/2008
M. Sarkozy déclarait le mardi 7 janvier qu’il souhaite « que l’on réfléchisse à une suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques », estimant que « si l’on veut un service public, il faut lui donner une identité, il faut lui donner un périmètre, il faut lui donner des moyens de se financer ». Il a précisé que ce financement pourrait être réalisé grâce à « une taxe sur les recettes publicitaires accrue des chaînes privées et une taxe infinitésimale sur les chiffres d’affaires des nouveaux moyens de communication comme l’accès à Internet ou la téléphonie mobile ».
Cette proposition rejoint - de façon pour le moins inattendue - notre demande qui enjoint les décideurs politiques à envisager très sérieusement les façons praticables de libérer la RTBF de la publicité commerciale. Cette revendication de simple bon sens a depuis lors été reprise par plusieurs autres associations et a recueilli le soutien de nombreuses personnes, d’intellectuels et d’élus. Rien ne justifie en effet l’évolution délétère qui consiste à transformer le service public en porte-parole d’intérêts commerciaux privés, à soumettre le fonctionnement de l’institution et le contenu éditorial à la pression de la logique publicitaire, à rogner le confort de l’usager bombardé d’écrans vendeurs. Rien ne justifie l’absurdité de laisser le service public être envahi par des messages commerciaux incitant à la surconsommation au moment où l’on sait de façon certaine qu’il est urgent de consommer moins et mieux.
Pourtant, à aucun moment, la majorité PS/CDH de la Communauté française n’a jugé utile d’écouter cette revendication et les arguments à l’appui d’un service public audiovisuel débarrassé de la pression publicitaire. La surprise vient donc du président français, qui annonce une « révolution culturelle dans le service public de la télévision ». Comment interpréter cette déclaration venant du chef de l’État français dont le moins que l’on puisse dire est que les choix politiques qu’il a faits jusqu’à aujourd’hui ne vont pas dans le sens de la revalorisation du service public ni de la lutte contre la surconsommation ?
Constatons en premier lieu que juste après l’annonce présidentielle (à 11 heures), les actions de TF1 gagnaient 8,38 pc, M6 Métropole TV 6,86 pc, et Bouygues, maison-mère de TF1, 3,24 pc. Ces titres reperdaient à nouveau dès le lendemain, à l’exception de M6. Supprimer toute publicité de France Télévisions revient en effet à rétrécir le marché publicitaire audiovisuel français et donc à concentrer les revenus publicitaires chez les seuls opérateurs privés, qui voient de ce fait leurs perspectives de profit augmenter. Il n’est cependant pas possible de savoir jusqu’à quel point le transfert des revenus publicitaires des télévisions publiques peut être capté par le privé, cela expliquant probablement la rechute observée des cours.
Dans le cas où l’ambition présidentielle ne se limiterait pas à un effet d’annonce, cette bonne affaire pour le privé n’en serait pas pour autant mauvaise pour le service public, qui serait largement libéré de la pression commerciale et des lois régressistes de l’audimat (outil publicitaire, partial et partiel de mesure de l’audience). Toutefois, pour que cette opération ne tourne pas à la catastrophe pour le service public français, il faut que plusieurs conditions soient remplies pour lui permettre de réaliser correctement ses missions d’intérêt général.
Les taxes suggérées devraient être suffisamment importantes, et éventuellement complétées par une hausse de la redevance (une proposition en ce sens avait été rejetée en novembre), sans quoi la mesure s’apparenterait plus à la mise à terre de la télé publique qu’à sa revalorisation. D’autre part, fermer les vannes du financement publicitaire rendrait France Télévisions entièrement dépendant ou presque du financement public et, donc, de l’État.
La suppression de la pub devrait donc être impérativement accompagnée de garde-fous confirmant et renforçant l’autonomie du service public vis-à-vis des pouvoirs publics, faute de quoi il existerait un risque de le voir glisser vers un organe de radiodiffusion d’État, la séparation entre ces deux niveaux de pouvoir (politique et médiatique) étant déjà déficiente. La possibilité de la « Berlusconisation » des médias à la française n’est pas simplement théorique, la proximité du président et des dirigeants de médias étant très forte (Martin Bouygues PDG du groupe éponyme qui contrôle TF1, est le parrain de l’un des fils de N. Sarkozy).
En tout état de cause, il est difficilement concevable qu’un État tel que la France puisse se passer d’un service public audiovisuel et, pour autant que la vigilance démocratique soit correctement exercée, une sortie correcte de France Télévisions de la dépendance publicitaire est envisageable. L’accentuation de la différence entre les missions et les contenus du service public et ceux des opérateurs privés constituerait alors un point très positif.
Cette différenciation des missions et contenus est au cœur des revendications des nombreux usagers qui souhaitent une RTBF sans publicité : le service public doit être au service du public et de l’intérêt général et non des intérêts commerciaux privés. L’annonce de Nicolas Sarkozy constitue à ce titre un camouflet pour les partisans du développement publicitaire à la RTBF, qui n’ont eu de cesse ces dernières années d’affirmer, sans jamais le prouver, qu’une RTBF sans pub est impensable - mais il est vrai qu’ils semblaient n’y avoir jamais pensé.
Quelles conséquences pourrait avoir ici la mise en œuvre du projet français ? S’il est impossible de le deviner, quelques éléments peuvent néanmoins être envisagés.
Le marché publicitaire de l’audiovisuel en Communauté française est différent du marché français. Les deux chaînes les plus regardées chez nous sont... TF1 et RTL-TVi. La première est française et la seconde s’est virtuellement expatriée au Luxembourg, où les règles encadrant les pratiques publicitaires sont moins élaborées. Étant donné les principes de libre concurrence et de libre circulation des biens et services qui prévalent dans le marché commun européen, il semble difficilement praticable de taxer en Belgique les investissements publicitaires effectués par des opérateurs étrangers. À la différence de la France, il ne semble donc pas possible de tirer de ce type de taxe les revenus suffisants pour refinancer une RTBF publique, les deux plus gros opérateurs actifs ici étant pour l’instant hors d’atteinte. Difficulté supplémentaire, certes, qui n’enlève rien à l’impérieuse nécessité de supprimer la propagande commerciale de notre radio-télévision publique.
Car la concentration des revenus publicitaires dans les chaînes privées françaises, et singulièrement à TF1, fait peser un risque direct à la RTBF. Il est en effet question depuis longtemps pour la principale chaîne française d’effectuer un décrochage publicitaire, c’est-à-dire de créer une régie publicitaire pour le marché belge (mais pas nécessairement enregistrée en Belgique) dont la mission serait de valoriser sur le marché de la Communauté française les écrans publicitaires de TF1. Autrement dit, les téléspectateurs belges de TF1 subiraient sur cette chaîne des publicités calibrées pour le marché belge, et non plus français. Or la concentration du marché publicitaire télé en France accroît les potentialités de bénéfice des chaînes privées, mais circonscrit également la taille du marché. Les opérateurs vont donc probablement tenter de s’étendre (ils auraient plus d’argent sur un marché plus étroit).
La RTBF se trouve en situation de concurrence exacerbée avec un opérateur français géant et RTL-TVi, qui pratique des formats publicitaires interdits en Communauté française. Deux opérateurs privés étrangers qui n’ont d’autre objectif que de grandir, de grossir et d’accroître leurs parts de marché et qui trouveraient dans la suppression de la pub sur le service public français de nouvelles incitations à s’étendre. Autant dire qu’à ce jeu concurrentiel qui ne peut pas être le sien, les recettes publicitaires de la RTBF fondraient comme le cerveau humain mis à disposition des vendeurs de soda. La meilleure chose qui pourrait arriver à Reyers est de ne plus dépendre de ce type de revenus.
À l’heure du changement climatique, de l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et de maladies épidémiques de société comme l’obésité et le diabète, la limitation forte des messages commerciaux incitant efficacement à la surconsommation est une nécessité en soi. L’autonomie et l’avenir de la RTBF, qui demeure le principal outil culturel de la Communauté française, en forment une autre. Gageons que ces enjeux seront au cœur des élections de 2009.
M. Sarkozy déclarait le mardi 7 janvier qu’il souhaite « que l’on réfléchisse à une suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques », estimant que « si l’on veut un service public, il faut lui donner une identité, il faut lui donner un périmètre, il faut lui donner des moyens de se financer ». Il a précisé que ce financement pourrait être réalisé grâce à « une taxe sur les recettes publicitaires accrue des chaînes privées et une taxe infinitésimale sur les chiffres d’affaires des nouveaux moyens de communication comme l’accès à Internet ou la téléphonie mobile ».
Cette proposition rejoint - de façon pour le moins inattendue - notre demande qui enjoint les décideurs politiques à envisager très sérieusement les façons praticables de libérer la RTBF de la publicité commerciale. Cette revendication de simple bon sens a depuis lors été reprise par plusieurs autres associations et a recueilli le soutien de nombreuses personnes, d’intellectuels et d’élus. Rien ne justifie en effet l’évolution délétère qui consiste à transformer le service public en porte-parole d’intérêts commerciaux privés, à soumettre le fonctionnement de l’institution et le contenu éditorial à la pression de la logique publicitaire, à rogner le confort de l’usager bombardé d’écrans vendeurs. Rien ne justifie l’absurdité de laisser le service public être envahi par des messages commerciaux incitant à la surconsommation au moment où l’on sait de façon certaine qu’il est urgent de consommer moins et mieux.
Pourtant, à aucun moment, la majorité PS/CDH de la Communauté française n’a jugé utile d’écouter cette revendication et les arguments à l’appui d’un service public audiovisuel débarrassé de la pression publicitaire. La surprise vient donc du président français, qui annonce une « révolution culturelle dans le service public de la télévision ». Comment interpréter cette déclaration venant du chef de l’État français dont le moins que l’on puisse dire est que les choix politiques qu’il a faits jusqu’à aujourd’hui ne vont pas dans le sens de la revalorisation du service public ni de la lutte contre la surconsommation ?
Constatons en premier lieu que juste après l’annonce présidentielle (à 11 heures), les actions de TF1 gagnaient 8,38 pc, M6 Métropole TV 6,86 pc, et Bouygues, maison-mère de TF1, 3,24 pc. Ces titres reperdaient à nouveau dès le lendemain, à l’exception de M6. Supprimer toute publicité de France Télévisions revient en effet à rétrécir le marché publicitaire audiovisuel français et donc à concentrer les revenus publicitaires chez les seuls opérateurs privés, qui voient de ce fait leurs perspectives de profit augmenter. Il n’est cependant pas possible de savoir jusqu’à quel point le transfert des revenus publicitaires des télévisions publiques peut être capté par le privé, cela expliquant probablement la rechute observée des cours.
Dans le cas où l’ambition présidentielle ne se limiterait pas à un effet d’annonce, cette bonne affaire pour le privé n’en serait pas pour autant mauvaise pour le service public, qui serait largement libéré de la pression commerciale et des lois régressistes de l’audimat (outil publicitaire, partial et partiel de mesure de l’audience). Toutefois, pour que cette opération ne tourne pas à la catastrophe pour le service public français, il faut que plusieurs conditions soient remplies pour lui permettre de réaliser correctement ses missions d’intérêt général.
Les taxes suggérées devraient être suffisamment importantes, et éventuellement complétées par une hausse de la redevance (une proposition en ce sens avait été rejetée en novembre), sans quoi la mesure s’apparenterait plus à la mise à terre de la télé publique qu’à sa revalorisation. D’autre part, fermer les vannes du financement publicitaire rendrait France Télévisions entièrement dépendant ou presque du financement public et, donc, de l’État.
La suppression de la pub devrait donc être impérativement accompagnée de garde-fous confirmant et renforçant l’autonomie du service public vis-à-vis des pouvoirs publics, faute de quoi il existerait un risque de le voir glisser vers un organe de radiodiffusion d’État, la séparation entre ces deux niveaux de pouvoir (politique et médiatique) étant déjà déficiente. La possibilité de la « Berlusconisation » des médias à la française n’est pas simplement théorique, la proximité du président et des dirigeants de médias étant très forte (Martin Bouygues PDG du groupe éponyme qui contrôle TF1, est le parrain de l’un des fils de N. Sarkozy).
En tout état de cause, il est difficilement concevable qu’un État tel que la France puisse se passer d’un service public audiovisuel et, pour autant que la vigilance démocratique soit correctement exercée, une sortie correcte de France Télévisions de la dépendance publicitaire est envisageable. L’accentuation de la différence entre les missions et les contenus du service public et ceux des opérateurs privés constituerait alors un point très positif.
Cette différenciation des missions et contenus est au cœur des revendications des nombreux usagers qui souhaitent une RTBF sans publicité : le service public doit être au service du public et de l’intérêt général et non des intérêts commerciaux privés. L’annonce de Nicolas Sarkozy constitue à ce titre un camouflet pour les partisans du développement publicitaire à la RTBF, qui n’ont eu de cesse ces dernières années d’affirmer, sans jamais le prouver, qu’une RTBF sans pub est impensable - mais il est vrai qu’ils semblaient n’y avoir jamais pensé.
Quelles conséquences pourrait avoir ici la mise en œuvre du projet français ? S’il est impossible de le deviner, quelques éléments peuvent néanmoins être envisagés.
Le marché publicitaire de l’audiovisuel en Communauté française est différent du marché français. Les deux chaînes les plus regardées chez nous sont... TF1 et RTL-TVi. La première est française et la seconde s’est virtuellement expatriée au Luxembourg, où les règles encadrant les pratiques publicitaires sont moins élaborées. Étant donné les principes de libre concurrence et de libre circulation des biens et services qui prévalent dans le marché commun européen, il semble difficilement praticable de taxer en Belgique les investissements publicitaires effectués par des opérateurs étrangers. À la différence de la France, il ne semble donc pas possible de tirer de ce type de taxe les revenus suffisants pour refinancer une RTBF publique, les deux plus gros opérateurs actifs ici étant pour l’instant hors d’atteinte. Difficulté supplémentaire, certes, qui n’enlève rien à l’impérieuse nécessité de supprimer la propagande commerciale de notre radio-télévision publique.
Car la concentration des revenus publicitaires dans les chaînes privées françaises, et singulièrement à TF1, fait peser un risque direct à la RTBF. Il est en effet question depuis longtemps pour la principale chaîne française d’effectuer un décrochage publicitaire, c’est-à-dire de créer une régie publicitaire pour le marché belge (mais pas nécessairement enregistrée en Belgique) dont la mission serait de valoriser sur le marché de la Communauté française les écrans publicitaires de TF1. Autrement dit, les téléspectateurs belges de TF1 subiraient sur cette chaîne des publicités calibrées pour le marché belge, et non plus français. Or la concentration du marché publicitaire télé en France accroît les potentialités de bénéfice des chaînes privées, mais circonscrit également la taille du marché. Les opérateurs vont donc probablement tenter de s’étendre (ils auraient plus d’argent sur un marché plus étroit).
La RTBF se trouve en situation de concurrence exacerbée avec un opérateur français géant et RTL-TVi, qui pratique des formats publicitaires interdits en Communauté française. Deux opérateurs privés étrangers qui n’ont d’autre objectif que de grandir, de grossir et d’accroître leurs parts de marché et qui trouveraient dans la suppression de la pub sur le service public français de nouvelles incitations à s’étendre. Autant dire qu’à ce jeu concurrentiel qui ne peut pas être le sien, les recettes publicitaires de la RTBF fondraient comme le cerveau humain mis à disposition des vendeurs de soda. La meilleure chose qui pourrait arriver à Reyers est de ne plus dépendre de ce type de revenus.
À l’heure du changement climatique, de l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et de maladies épidémiques de société comme l’obésité et le diabète, la limitation forte des messages commerciaux incitant efficacement à la surconsommation est une nécessité en soi. L’autonomie et l’avenir de la RTBF, qui demeure le principal outil culturel de la Communauté française, en forment une autre. Gageons que ces enjeux seront au cœur des élections de 2009.