Le « paquet pesticides »[1][2] est a contrario descendu en flammes par sa coreligionnaire Sabine Laruelle, ministre fédérale de l'Agriculture :
« Il faudra convaincre le Parlement européen et ne pas se laisser emporter par des voix populistes, note la ministre, devant les agriculteurs wallons. J'invite à faire pression pour changer ce texte, mais il faut être réaliste, on ne reviendra pas sur la notion de danger. En revanche, il faut se battre pour éviter un effet contraire à l'objectif légitime recherché. Face à la baisse des rendements, cette réglementation risque de nous obliger d'importer in fine des produits qui protégeraient moins bien le consommateur européen. »
Alors que de nombreux députés européens soutiennent ce « paquet pesticides », certains milieux agricoles s’inquiètent.
« La philosophie de ces textes est basée sur une notion de danger des molécules et pas sur le risque de gestion que les agriculteurs maîtrisent très bien contrairement aux particuliers qui utilisent ces produits sans discernement, note Jean-Pierre Champagne, secrétaire général de la Fédération wallonne de l'agriculture (Fwa). Le café est cancérigène, comme l'alcool… Faut-il retirer ces produits du marché parce qu'il y aurait danger ?»
Davantage un effet de mode qu’une nécessité sanitaire et environnementale ? Une menace sur la sécurité alimentaire en Europe et sur la compétitivité même de l’agriculture ?
A ces arguments brandis par les « syndicats agricoles », que répondre, si ce n’est que de nombreuses études infirment l’innocuité de tels produits et qu’ensuite, selon l'Afsca[3], en 2007, sur 2.000 échantillons de fruits, légumes, céréales, pommes de terre et produits transformés, 7 % étaient au-delà des limites.[4] Un échantillon sur quinze, une paille ou un scandale ? C’est selon les interlocuteurs. Un de trop à mon sens. Parce que si le café ou l’alcool sont cancérigènes, il vous est loisible de les boire ou non. Nous n’allons pas analyser chaque produit que nous achetons.
Pourtant certains, mais ce n’est malheureusement pas une majorité, pratiquent une agriculture raisonnée, où l’utilisation des produits est réfléchie. J’ai rencontré dernièrement un groupe d’agriculteurs, partisans de cette manière de faire. Ils font appel à un agronome qui calcule les doses des produits au plus juste, généralement en dessous de ce qui est préconisé par les fabricants, une pratique qui ne plaît pas. Les firmes phytosanitaires n’hésiteraient pas à adresser des courriers menaçants.
Et puis, pourquoi ne pas passer au bio ? La FAO considère que l’agriculture biologique a tout son intérêt pour l’avenir, alliant le respect de la terre à la capacité de nourrir le monde.
Nourrir le monde est un magnifique objectif, mais cela doit-il se faire à n’importe quel prix ? Bien entendu que les chiffres avancés sur les prix et rendements peuvent faire peur. Pour l'heure, aucune étude d'impact économique du « paquet pesticides » n'a été réalisée dans notre pays. Un fait souligné par le professeur Philippe Burny, des Facultés agronomiques de Gembloux : «L'étude Euro Care estime qu'il y aura une hausse du prix du froment oscillant de 20 à 70 %, note-t-il. Selon une projection britannique menée sur 300 substances, une baisse des rendements de 20 à 30 % des céréales serait constatée dans une hypothèse basse de 15 % des produits retirés du marché Si 85 % des substances disparaissent, comme le veut le Parlement, l'agriculture traditionnelle sera impossible». Mais certaines études sont financées par les firmes phytosanitaires. De plus, si les conséquences pour la santé et l’environnement sont avérées, leurs coûts devront être supportés par la collectivité.
Mais en réalité, qu’est-ce qui est en jeu, si ce n’est une agriculture basée sur un modèle économique peut-être dépassé, mais difficilement remis en question. Dans un reportage comparant les agricultures du sud, qui trouvent difficilement leur place, et du nord, pour certaines, particulièrement subventionnées, un agriculteur affirmait « qu’importe ce qu’il plantait, blé, maïs ou soja OGM, qu’importe même la manière, pourvu ce que cela rapporte ». Le lien à la terre, en tant que matière vivante, tend nettement à disparaître. Elle est devenue, un simple support, un substrat. Beaucoup d’agriculteurs de l’ancienne génération considèrent leurs (rares) successeurs comme des conducteurs de machines qui n’ont plus de réel amour pour leurs champs. Eux-mêmes, poussés dans le dos par les firmes chimiques, ne remettent pas en question le système. Et puis les mentalités n’évoluent guère. Une agricultrice me disait dernièrement qu’ils ne poursuivraient pas les mesures agro-environnementales (en l’occurrence des bandes herbeuses pour la biodiversité) parce ce que cela donnait trop de « saletés » dans leurs champs environnants. Ceci justifie aussi le recours aux « herbicides » pour la propreté des terres.
« Ne pas se laisser emporter par des voix populistes » notait la ministre. Est-il donc populiste de prévoir l’avenir ? En constatant que les terres se meurent, assassinées peu à peu par les excès, que ces excès ont aussi des conséquences sur la santé humaine, à court, mais aussi à long terme, peut-on décemment laisser faire ?[5] Sera-t-on encore populiste quand il faudra expliquer que nos manières de manger doivent radicalement se modifier, que nos régimes ultra-carnés devront subir une diète ?[6]
Ne rien changer en donnant l’impression de protéger les (mauvaises) habitudes du bon peuple, n’est-ce pas plus populiste ? Un peu comme ceux qui disent qu’il ne faut pas sortir du nucléaire, comptant entre autres sur d’hypothétiques avancées technologiques pour traiter les déchets, de peur de confronter le citoyen à des changements radicaux, mais nécessaires.
« Il est temps de changer notre agriculture » me disait dernièrement un notaire, espèce que l’on dit pourtant peu encline à protéger l’environnement, « avant qu’elles ne détruisent les derniers ilots de biodiversité ».
Il est temps aussi que nos politiques changent, considèrent le long terme comme aussi important que le court terme et admettent enfin que les défis qui nous attendent nécessiteront une adaptation des systèmes (de production) et des habitudes (de consommation).
Préparez l’avenir n’est pas seulement de dire « Vous devrez travailler plus longtemps », mais aussi « Dès maintenant, prenez votre bêche et retournez votre pelouse pour y faire un potager. Vous ferez de l’exercice et vous aurez des légumes sains. (Et pendant ce temps-là, vous ne ferez pas de trucs à la con)».
Denis MARION
[1] Bannissement des molécules dangereuses pour la santé, interdiction des épandages aériens, usage limité dans le temps des produits à risque, substitution obligatoire par des matières moins nocives, traçabilité des produits, limitation, ou interdiction à proximité des zones urbanisées…
[2] Sabine Laruelle, ministre fédérale de l'Agriculture (Le Soir 27/10/2008)
[3] L’Afsca dépendrait maintenant du ministère de l’agriculture et non plus de la santé. Juge et Partie ?
[4] Le Soir 27/10/2008
[5] Sans compter la rage de prendre des bonnes terres agricoles pour en faire des zonings.
[6] Quand on considère non seulement la masse de protéines perdues pour la production de viande, mais aussi la destruction de biotopes (forêt amazonienne par ex.) pour la production de ces protéines.