Par Pierre Titeux
Eh bien voilà, pour moi, c’est fait : je les ai connues, ces « 15 minutes of fame », ce « quart d’heure de célébrité », qu’Andy Warhol prédisait à chaque locataire de la Planète. Oh, je n’en tire aucune gloire. A dire vrai, cela s’est produit à l’insu de mon plein gré et j’avoue ne toujours pas comprendre la logique d’un emballement médiatique confinant au surréalisme.
Tout est parti de ma précédente chronique ; moins d’une heure après l’envoi de la newsletter publiant ce billet, l’agence Belga sortait une dépêche répercutant mes propos et aussitôt reprise en « Une » des sites de la presse écrite et audiovisuelle.
Là, celles et ceux qui n’ont pas lu l’objet du délire doivent légitimement se demander ce qui put provoquer une telle déferlante… Aurais-je évoqué quelque(s) rumeur(s) sulfureuse(s) ? Une liaison extra-conjugale entre Paola et Eddy Merckx dont Albert se serait consolé dans les bras de Sandra Kim ?? Un flirt entre Elio Di Rupo et Dave lors de la soirée « God is good » organisée par Monseigneur Léonard pour fêter son arrivée à la tête du diocèse de Malines-Bruxelles ??? L’entrée prochaine de Freya Vandenbossche dans la troupe du Crazy Horse ; la conversion de Joëlle Milquet à l’Islam ; le retrait de Didier Reynders de la vie politique afin de se consacrer à un projet de communauté autarcique sur le terril d’Herstal ; l’inscription des chapeaux de Fabiola au patrimoine mondial de l’humanité ; la participation de Justine Henin à la prochaine campagne d’information de l’administration fiscale ; les secrets de tournage de la comédie des frères Dardenne réunissant Chuck Norris et Arielle Dombasle sur un scénario original des Frères Taloche ???? [1] Que nenni ; rien de tout cela. Evoquant une interview de Jean-Michel Javaux dans laquelle le boss Ecolo affirmait son refus d’être « de nouveau le missionnaire ou l’éclaireur écologique » et de « porter des politiques de rupture », je m’interrogeais sur l’adéquation entre cette « politique des petits pas » revendiquée par l’homme politique préféré des électrices et les exigences de l’urgence environnementale. Autrement dit, si la maison brûle, est-il pertinent de prétendre l’éteindre avec un goutte-à-goutte ?
Cette réflexion était à mes yeux aussi révolutionnaire que les antiennes proclamant que « nous nous battrons sans relâche pour préserver les acquis sociaux », « la création d’emploi doit être au coeur de toutes les politiques », « nous devons tout faire pour préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens » ou encore « nous mobiliserons tous nos moyens et toute notre énergie pour remettre la Wallonie sur les rails de la croissance ». Bref, je pensais être dans l’évidence la plus élémentaire voire dans une lapalissade du style « si ça va mal, il vaut que cela change ». Et pourtant… Ce propos moins qu’anodin suffit à déclencher la mécanique médiatique.
Belga sortit donc une dépêche titrée « Le discours trop édulcoré de Javaux critiqué » et annonçant en chapeau « Inter-Environnement Wallonie se dit déçue du co-président d’Ecolo Jean-Michel Javaux. Dans un article signé de son attaché de presse Pierre Titeux, la fédération lui reproche de tenir un discours édulcoré pour ne pas choquer. » Au fil d’une surenchère dans la titraille, cela devint « Inter-Environnement s’en prend au discours trop édulcoré de Javaux », « Inter-Environnement Wallonie déçue par Jean-Michel Javaux » et « Inter-Environnement Wallonie s’en prend à Jean-Michel Javaux ». Il s’en est fallu de peu qu’on ne décèle dans mon billet d’humeur un appel implicite à la démission !
Je devrais sans doute me réjouir de cet écho aussi retentissant qu’inattendu donné à mon propos mais je suis surtout interloqué par le traitement qui lui fut réservé.
Il m’apparaît ainsi à tout le moins regrettable qu’aucun(e) journaliste n’ait pris la peine de me contacter pour affiner son information. J’aurais ainsi pu expliquer la nuance (loin d’être subtile) qu’il existe entre une position officielle (en l’occurrence d’IEW) et le commentaire d’un chroniqueur. La rubrique abritant ma prose (« La Lorgnette » hier, désormais « Politiquement incorrect ») a toujours affiché sans la moindre équivoque sa volonté de proposer « une autre manière de voir l’actualité environnementale » ; elle revendique sa subjectivité et son impertinence, le refus de la langue de bois et un discours volontiers provocateur. Les réflexions qui y sont développées ne sauraient donc en aucun cas être assimilées à des prises de position de la Fédération. Si celle-ci avait souhaité « s’en prendre à Javaux », elle l’aurait fait par communiqué de presse ou Carte Blanche.
Dans ce cas d’espèce, il se fait qu’IEW n’a pas de point de vue sur la stratégie politique d’Ecolo - pas plus d’ailleurs que sur celle du MR, du CDH ou du PS. Cela peut paraître bizarre mais c’est comme ça : ses prises de positions s’opèrent par rapport à des actes et décisions de gouvernants, pas sur base de déclarations de partis. Cela permet d’objectiver l’argumentation et de commenter du concret, élément non négligeable lorsqu’il s’agit de s’exprimer au nom de 150 associations aux intérêts aussi divers - voire parfois contradictoires - que la survie du triton palmé (Triturus Helveticus) dans la basse-vallée du Houyoux, la préservation et l’embellissement de l’environnement de l’arrière-pays cinacien, la défense des piétons quotidiens, la lutte contre l’envahissement publicitaire dans l’espace public ou la promotion de la décroissance… Les propos tenus dans cette chronique n’engagent donc que leur auteur, fut-il par ailleurs attaché de presse de la Fédération. A ce que je sache, lorsque Jean-Michel Javaux fait sa profession de foi catholique ou son coming out monarchique, (co-)Président ou pas, ce n’est pas la « ligne officielle » d’Ecolo qu’il exprime. Et lorsqu’il déclare [2] avoir visionné « Défonce-moi chéri » à 16 ans, garder un souvenir vivace des photos de Bo Dereck nue sur un cheval ou encore apprécier avec son amoureuse des fantaisies câlines faites de « petits goûts, petites crèmes et bonnes odeurs », j’ose espérer que personne ne voit là un positionnement idéologique ou l’ébauche d’une ligne programmatique…
Il n’y avait donc d’autre intérêt dans le montage en épingle de mon propos que la recherche d’une supposée tension entre Ecolo et Inter-Environnement Wallonie, ce qui serait d’ailleurs une non-information tant il est vrai que eux, c’est eux et nous, c’est nous (et, de plus, ici, moi, c’est moi !).
Voilà pour la forme. Sur le fond, je l’ai déjà dit, il me semble extravagant qu’une réflexion aussi élémentaire que celle développée dans ce qui restera la dernière « Lorgnette » [3] puisse provoquer un tel ramdam…
Il serait donc devenu politiquement incorrect de considérer que la gravité et l’urgence (environnementales) s’accommodent mal de la demi-mesure ? Moi, je veux bien. Mais il faudra alors m’expliquer comment on espère, par exemple, arriver à l’indispensable réduction de 80% à 90% de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 sans des ruptures claires et nettes avec le modèle économique actuel. En remplaçant toutes les ampoules à incandescence par des ampoules à basse consommation ? En éteignant tous les ans la lumière pendant une heure ? En mangeant une pomme « locale et de saison » plutôt qu’une banane à la pause de 10 heures ? En allant faire ses courses à vélo ? Ce sont quasiment là les seuls messages actuellement audibles et recevables par le public. Or, s’ils s’inscrivent dans une logique de changements de comportements bienvenue, ils représentent une solution infime à un problème colossal qui relève moins de la nature de nos consommations que du caractère excessif, « insoutenable » (et totalement irrationnel) de celles-ci. Dès lors, en refusant de « porter seuls des projets qui sont ressentis comme étant contre la population », on cautionne de facto la perpétuation d’un système qui nous a amenés dans une impasse et nous conduit à présent droit dans le mur des inégalités renforcées, des pénuries généralisées et de la Planète saccagée. La « politique des petits pas » retardera peut-être le moment de l’impact mais ne l’empêchera pas. Nous devrons dès lors assumer les conséquences de l’inaction actuelle, dans un contexte où la question de l’adhésion citoyenne ne sera plus à l’ordre du jour : la situation imposera en effet des mesures plus drastiques qu’aujourd’hui, forcément impopulaires mais non négociables.
Le « parler vrai » n’est pas à la mode. Il est de mauvais ton d’appeler à la rupture, aux changements en profondeur, à une remise en cause de nos modes de vie et, par conséquent, de notre système de valeurs. Trop radical, catastrophiste, extrémiste. Mieux vaut parler de transition, de nouveau paradigme, de « green (ou sustainable) new deal ». Cela ne veut pas dire grand-chose mais à l’immense mérite de ne pas effrayer les foules et de laisser croire qu’il sera possible de continuer à vivre selon le même modèle, réformé à la marge. Et tant pis si pour rassurer, il faut être mensonger ; peu importe les chaos du long terme pour autant que la quiétude relative du présent soit préservée…
Pourtant, quelle que soit la perception de ce discours, on ne pourra m’empêcher de penser et d’écrire qu’un système qui, en dépit de décennies de croissance (son moteur et son indicateur de bonne santé), creuse sans cesse davantage le fossé entre les individus et les populations les plus riches et les plus pauvres, se montre incapable d’éradiquer les famines et de donner à tous l’accès à l’eau potable, entretient ici la précarité et le chômage et ailleurs la misère et la souffrance, un système qui pollue l’eau, le sol et l’air en épuisant les ressources naturelles, exploite le patrimoine commun au profit de quelques-uns, dénie à des millions d’individus la plus élémentaire dignité et accepte implicitement une hiérarchie dans la valeur d’une vie, ce système doit être changé. [4]. C’est plus qu’une question politique, c’est un devoir éthique.
Défendre l’environnement, ce n’est pas seulement s’émouvoir de la disparition du gecko à queue feuillue, du cacaotés ou de la tortue à nez de cochon, combattre la déforestation et l’agriculture intensive, dénoncer les pollutions et les conséquences d’un abus de consommation ; défendre l’environnement, c’est surtout combattre les causes de tout cela (qui, souvent, sont aussi celles des maux économiques et sociaux listés plus haut) et faire en sorte de rompre avec elles. Sinon, autant jouir sans entrave de notre statut de privilégiés et, comme disait, Desproges, vivre heureux en attendant la mort.
[1] Précision que j’espère inutile mais on n’est jamais assez prudent… : Les faits évoqués ici sont purement imaginaires et créés pour les besoins de la démonstration. Que les lecteurs ne les croient donc pas et que les personnes citées ne s’en offusquent surtout pas.
[2] Télé-Moustique du 31/03/10
[3] En effet, comme vous l’aurez sans doute noté, afin d’éviter de nouvelles interprétations abusives, cette chronique change d’intitulé et de présentation, s’entourant ainsi de toutes les précautions utiles à la préservation de sa spécificité identitaire, sa liberté d’analyse et de ton.
[4] Pour ceux qui douteraient, je conseille (entre beaucoup d’autres…) deux ouvrages parus ces dernières semaines : « Le triomphe de la cupidité », du Prix Nobel d’Economie 2001, Joseph Stiglitz (Les Liens qui Libèrent) et « Parmi les perdants du meilleur des mondes » de Günter Walraff (La Découverte)