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Dogmatisme et réalité

• Mercredi 14/12/2011 • Version imprimable

Ne vous avais-je pas déjà soulé avec l’interprétation étymologique de l’écologie et de l’économie ? Entre la science et l’administration, entre la science qui se doit à la rigueur et l’administration qui se laisse séduire par l’idéologie.

L'économie [politique] classique analyse et systématise certains modèles économiques et certaines conduites collectives régulières touchant la production la plus efficace et les échanges les plus avantageux, afin d'indiquer les meilleurs moyens d'aboutir à la prospérité dans un cadre social déterminé (dont la variabilité lui échappe bien souvent). Cette variabilité est moins souvent voulue qu’imposée. Et quand la volonté est là, ne découle-t-elle pas, parfois, souvent, de choix manipulés.

Notre mode de vie n’est pas négociable disent les Américains. Les Européens pourraient dire la même chose. Les classes aisées des pays émergents le trouvent séduisant. Il faut donc de la croissance pour que ce « bien-être » existe. Mais ce « bien-être » n’est finalement qu’une vue de l’esprit ou une accumulation de jouets. Et qu’est-ce d’autre que l’idéologie de la consommation.

Le débat sur les voitures de société en Belgique est exemplaire à cet égard. L’impôt est injuste et il faut l’éluder, légalement. Et le travail est une torture, il faut me motiver. Qu’y a-t-il de mieux qu’un véhicule et sa carte essence pour me donner du cœur à l’ouvrage et  surtout assurer mon statut? Il importe peu que cela réduise l’assiette de la sécurité sociale ou de l’impôt, que cela constitue un privilège[1] financé par la collectivité[2]. Il importe peu que cela nécessite plus de parking, que cela engorge les routes et augmente la pollution, que cela conduise à des comportements aberrants favorisés par une absence de coût et qu’au final, la société ne s’y retrouve pas (que du contraire).  D’aucuns pourront dire que d’autres avantages financés par la collectivité existent. Certes, mais ils ne deviendront des privilèges que s’ils ne présentent pas un gain pour la société, en termes par exemple de cohésion sociale, d’éducation, de santé publique ou de facture climatique. Ainsi, une prime à l’isolation favorisera d’une part, l’emploi local et d’autre part, une diminution de la facture climatique, ce qui n’est pas sans impact social.

Cette économie a  donc modelé des modes de vie, lesquels ont renforcé la croyance en ses bienfaits réels ou futiles. N’avions-nous pas l’impression d’être comblés par le sort ? Mais l’âme est vendue et certains diables veulent leur dû. Des diables bien différents, concurrents. 

Les marchés veulent maintenant de la rigueur « économique »  et de la croissance. Ils ne sont pas à une contradiction près. S’il y a rigueur, il y a appauvrissement. S’il y a appauvrissement, il y aura diminution de la consommation, moteur de la croissance. Mais peut-être que ce que veulent les marchés, c’est simplement moins d’état, moins de protection, moins de politiques sociales et le moment s’y prête pour faire passer cela. Et certains y croient, convaincu que c’est le seul moyen de retrouver la cocagne.

La planète aussi se réveille. Et ses exigences sont fort différentes de celles de l’idéologie des marchés ou de la consommation. Elle n’a pas peur pour elle, mais pour les plus fragiles d’entre ses habitants, particulièrement les hommes. Des gens ont examiné ses demandes avec une rigueur « scientifique » cette fois. Ils en ont déduit que des modifications étaient nécessaires : moins de CO2, moins de gaspillage d’eau, de terres, de matière, Ce n’est pas de l’idéologie, ce sont des faits. Tout au plus pourrait-on dire qui ces gens voudraient que l’on repasse à l’art de gérer sagement une maison, un ménage, d'administrer un bien… qui était le sens premier de l’économie.

Mais on l’a vu à Durban, les pays, donc l’économie (ou inversement) s’assoient sur ces bons conseils. Dans ce débat d’ailleurs, si l’arrogance des plus riches est des plus détestables, elle ne cède en rien à l’hypocrisie de certains pays émergents, qui réclament le droit de polluer pour alimenter une croissance qui en définitive ne profite qu’à une élite. En d’autres termes, ils exigent à juste titre que les pays « riches » bouchent les trous dans la coque du bateau commun en s’arrogeant le droit d’y creuser d’autres voies d’eau aussi conséquentes.

Donnons la primauté aux faits, hic et nunc. Les faits exigent des modifications. Si l’idéologie n’aime pas cela, qu’elle se taise ou qu’elle se réforme.  La seule contrainte est celle de la justice sociale et là, je suis d’accord, c’est du domaine des idées.

 
Denis Marion
Entrepreneur sans but lucratif
 


[1] Ce privilège intéresse le salarié qui en profite, mais aussi et surtout l’employeur qui peut diminuer la masse salariale à financer.

[2] 4 milliards selon certains. Cela en fait des gares, des lignes de train ou de tram.


Commentaires

solution par Anonyme le Lundi 05/02/2024 à 12:45

Il dénonce avec justesse l'aveuglement des marchés et des politiques face à ces enjeux cruciaux. Un appel à l'action et à la justice sociale s'impose. little things

 
 


par Yves le Mardi 02/12/2025 à 13:43

 

Transition, complexité et pensée systémique : une lecture de l’intervention de Peter Tom Jones

Lors de l’université d’automne d’IEW, la présentation de Peter Tom Jones a marqué les esprits par la clarté de son discours et la profondeur de son analyse. Spécialiste des transitions sociétales, il propose une réflexion qui dépasse les approches classiques de l’environnement pour interroger le fonctionnement même de nos modèles économiques, sociaux et culturels. Ce qu’il met en évidence, avec une force peu commune, c’est la nécessité de comprendre le monde non pas comme une succession de problèmes isolés, mais comme un ensemble de structures interdépendantes, subtilement tissées les unes aux autres.

Cette vision systémique rappelle que la transition ne peut être la somme de micro-ajustements. Elle exige une transformation profonde, une reconfiguration des manières de produire, de consommer, d’habiter et même de penser. Le conférencier souligne que chaque décision, chaque innovation, chaque politique publique s’inscrit dans un réseau de relations qui influence l’ensemble. Rien n’est simple, rien n’est linéaire : tout est lié.

La finesse des structures sociales

L’une des idées marquantes de l’intervention est l’importance de la finesse, de la précision dans l’analyse des systèmes. On ne peut pas comprendre la transition sans regarder les détails, sans observer comment les différents éléments s’assemblent, s’équilibrent ou se fragilisent. Les structures sociales ressemblent parfois à une composition délicate : un assemblage où chaque fil compte, où chaque élément participe à la beauté d’ensemble, mais où une rupture peut déséquilibrer tout le système.

Cette finesse est aussi ce qui rend la transition si difficile. Les institutions sont prises dans des logiques anciennes, les acteurs économiques dans des habitudes contraignantes, et les citoyens dans des rythmes de vie où la complexité n’est pas toujours visible. Pourtant, comme le rappelle Peter Tom Jones, la transition ne peut être une option : elle s’impose comme une nécessité historique.

Penser la transition comme un élément esthétique

Ce rapprochement entre complexité systémique et délicatesse esthétique n’est pas anodin. Il permet de comprendre que la transition ne peut réussir que si elle s’appuie sur une forme d’harmonie. Une société en mutation doit trouver un équilibre entre contrainte et liberté, innovation et héritage, sobriété et bien-être. La transformation durable ne peut être uniquement technique : elle est culturelle, émotionnelle, symbolique.

Lors de la conférence, plusieurs participants ont évoqué l’idée que la transition doit être racontée, rendue visible, incarnée dans des gestes simples, dans des objets, dans des espaces. Comme une dentelle, qui tire sa beauté non pas de la profusion mais de la structure, d’un dessin précis, la transition doit s’appuyer sur des formes cohérentes, lisibles et inspirantes. Il ne suffit pas de changer les technologies : il faut changer les récits.

La nécessité des alliances et des interconnexions

La dentelle, lorsqu’on regarde de près, n’est qu’un ensemble de fils indépendants. Pourtant, ce qui lui donne force et élégance, c’est la manière dont ces fils s’assemblent. De même, les transformations profondes de nos sociétés ne peuvent émerger que de collaborations multiples : entre citoyens, entreprises, collectivités, associations, experts, chercheurs. Aucun acteur ne peut porter seul la transition.

Ce constat est au cœur de l’intervention de Peter Tom Jones. Il appelle à dépasser les logiques de cloisonnement, à créer des ponts entre disciplines, secteurs et territoires. Les solutions les plus pertinentes émergent souvent à l’intersection de plusieurs mondes : là où se rencontrent l’ingéniosité technique, la créativité culturelle, l’expertise scientifique et l’expérience citoyenne.

Vers une nouvelle sensibilité sociale

La transition écologique est souvent présentée comme un ensemble d’efforts ou de renoncements. Mais le conférencier propose une autre vision : celle d’une nouvelle sensibilité sociale. Une société durable serait une société plus attentive, plus délicate dans son rapport au monde. Capable de percevoir ce qui est fragile, ce qui doit être protégé, ce qui peut être renforcé.

Cette sensibilité n’est pas synonyme de faiblesse : elle demande du courage. Le courage de remettre en question les habitudes, d’oser des solutions inédites, d’accepter la complexité. Elle demande aussi une forme d’élégance intellectuelle, où la finesse d’analyse compte autant que la force de conviction.

Conclusion : tisser le futur avec soin

En définitive, l’intervention de Peter Tom Jones rappelle que la transition ne sera ni brutale ni désordonnée si elle est conduite avec soin, lucidité et collaboration. Comme une dentelle, la société durable devra être pensée comme un ensemble de liens : certains à renforcer, d’autres à réparer, d’autres encore à inventer. La beauté de la transition se trouvera dans cette construction patiente, où chaque fil compte et où l’harmonie naît de l’attention portée à la structure.

Comprendre cela, c’est aussi comprendre la puissance des gestes individuels et collectifs. La transition n’est pas un slogan : c’est un art, un travail délicat, un tissage continu. Et c’est ensemble que nous pourrons en révéler la trame.