Résumé de l’épisode précédent :
Nous avions laissé le plus âgé, la plus jeune, la brunette à bouclettes, le blondinet, la rondelette à la terrasse d’un café. Ils avaient longuement débattu de la nation avec un voisin de table, mais la question que, nous, nous nous posions tous était : « le silence du blondinet augurait-il d’un clash diplomatique? ». (Entretemps, vous vous doutez bien qu’ils sont rentrés chez eux faire un brin de toilette et se sustenter).
Voilà que le hasard donne un coup de pouce au chroniqueur et fait finalement bien les choses. A la même terrasse de café, ne retrouvent-ils pas le même voisin de table.
- Le cinéma populaire est-il tant à mépriser ? s’interroge notre plus vieux (comme le temps d’ailleurs). Moi qui regarde rarement un film et encore plus souvent de bout en bout, je dois avouer avoir pris du plaisir à regarder V comme Vendetta.
- N’était-ce pas une daube ? se demande la rondelette.
- Je ne crois pas. Personnellement, j’ai trouvé cela assez parlant, quand bien même les dialogues ne soient peut-être pas toujours à la hauteur. Quoique… Citez plus ou moins du Jefferson par exemple « Les peuples ne devraient pas avoir peur de leurs gouvernements. Les gouvernements devraient avoir peur du peuple ». Cet usage de l’angoisse pour justifier la dictature. Ces manipulations pour créer des ennemis de l’intérieur et surtout cette complicité du « bon citoyen » qui met en gage sa liberté pour une fausse sécurité. « Et là où, auparavant, vous aviez la liberté de faire des objections, de parler comme bon vous semblait, vous avez maintenant des censeurs, des systèmes de surveillance vous contraignant à la conformité et sollicitant votre docilité. » Cette docilité offerte sur l’autel d’une idole maléfique.
- Je vois que vous avez toujours dans vos discours des relents gauchistes, anarchistes. L’homme a aussi besoin de sécurité.
- Il y a de la fausseté dans le discours sécuritaire. Je vous renverrais volontiers au documentaire « Bowling for Colombine ». Michaël Moore démontre, peut-être en forçant le trait, la manière de créer un climat délétère. J’adore sa comparaison entre les Etats-Unis et le Canada.
Aujourd'hui à South Central,
Un type est passé en dehors des clous
Mais il n'y a pas eu un seul mort
Et les média qui prétendent
Le contraire ont tort.
Et on ne voit toujours pas
Les collines d'Hollywood
A cause de la pollution.
Aujourd'hui à South Central,
Un flic est tombé sur le cul
Mais il n'y a pas eu un seul mort
Et les média qui prétendent
Le contraire ont tort.
On voit bien pourquoi
De ce qu'ils ont à foutre
Une histoire de pognon.
- Pourtant, vous ne pouvez nier que des problèmes de sécurité existent.
- Vous avez sans doute raison. Mais à lire notre presse populaire, ce ne sont peut-être moins les vols et viols qui nous préoccupent que la conduite débridée et automobile de nos concitoyens. Le sentiment d’insécurité est chose complexe et les discours ambiants n’y sont jamais étrangers. Vous faire peur est une stratégie de prise de pouvoir.
- Mais vous n’êtes pas cohérent, s’insurge le blondinet. Quand il s’agit de nucléaire, vous maniez la peur de l’accident, mais quand il s’agit des personnes, vous prétendez qu’il n’y a rien.
- Ai-je rien dit de tel ? La violence sur les personnes est bien réelle, mais ses causes sont-elles toujours celles que l’on prétend ? Là est la vraie question. A défaut de réponse, certains gouvernements inventent des histoires. « Les artistes utilisent les mensonges pour dire la vérité, et les politiciens le font pour cacher la vérité. »
- Mais est-ce sain de se reposer sur un seul homme ? dit alors la brunette à bouclettes. Il y a d’ailleurs ce paradoxe dans ce film d’opposer deux individus, deux faces de la même pièce, qui prétendent chacun être un sauveur.
- Tu as raison. Il est plus facile de rechercher un sauveur que de se bouger le c… . Certains hommes peuvent être la mèche de la bombe. Mais quand la bombe a explosé, soit ils sont morts, soit ils doivent retourner à l’anonymat. Quand Luc Van der Kelen, éditorialiste de Het Laatste Nieuws, dit à propos de BDW : « Nous sommes inquiets de voir tous ces gens courir derrière un seul homme. Le temps des dictatures, où cela arrivait aussi, n’est pas révolu depuis si longtemps. Ils courent littéralement après une idole. Ce n’est pas sain [1]» il a tout-à-fait raison. On remplace la raison par l’adulation. Cela renvoie aussi d’ailleurs à cette complicité et cette docilité dont nous faisons preuve parce que nous croyons avoir tout à perdre ou un peu à gagner. Il faut quelques fois des Guy Fawkes ou des Robert Catesby pour nous faire bouger. Mais ce serait mieux si nous pouvions réfléchir par nous-mêmes et agir sans que l’on nous tienne la main.
La blondinet est à nouveau prostré, le regard toujours dans le vide. Et pendant cette conversation, il doit y avoir des millions de personnes qui craignent leur gouvernement.
Propos recueillis à droite et à gauche par Denis Marion, entrepreneur sans but lucratif.