Le plus âgé, la plus jeune, la brunette à bouclettes, le blondinet, la rondelette se sont retrouvés à la terrasse d’un café. Comme vous l’aviez subodoré lors de votre première rencontre, ils ne partagent pas toujours le même point de vue. Je soupçonne le blondinet de se retrouver dans cette bande par pur intérêt charnel. La brunette à bouclettes joue les idiotes de service, mais je pense que c’est un rôle de composition.
- Parce que ça caille, grelotte le blondinet dans son polo.
- T’as qu’à mettre un pull. Tu veux qu’on voie ton saurien à la c… ?
- Tu conviendras que c’est plus confortable.
- Mais comme tout ce qui est confortable, c’est parfaitement inutile.
- Tu exagères.
- Tout comme toi dans l’idée de ce qui est confortable. Le confortable ne fait que rimer avec indispensable.
- Faut-il pour autant en faire tout un plat ? se demande la brunette à bouclette.
- En aucun cas, riposte la plus rondelette. Ce ne sont que des gaspillages de plus. C’est tout. Quelques gouttes pour de grandes rivières.
- Ce n’est pas faux, estime le plus vieux. Imaginons que nous supprimions toutes les consommations superflues. Quel gain de CO² ! Supprimons les gadgets stupides, les usages inconsidérés. Que tous les nouveaux véhicules ne puissent que consommer moins de quatre litres et émettre moins de 100 grammes de Co² au kilomètre.
- Mais vous proposez un dirigisme soviétique, s’indigne un voisin de table, engoncé dans un costume trop étroit. Et notre liberté ?
- Votre liberté est synonyme d’esclavage, de dictature, de destruction pour d’autres. Tiens, je vous lis ce que je viens de voir dans ce journal.
Et il lit « Les plaignants que représente Pablo Fajardo (le collectif rassemble désormais 30 000 paysans) estiment que cette pollution massive est de la même ampleur que la catastrophe de Tchernobyl, la marée noire de l’Exxon Valdez ou encore celle provoquée en 2010 par BP dans le golfe du Mexique. A ceci près que ces trois catastrophes-là étaient accidentelles. En Equateur, Chevron avait conçu délibérément tout le système pour polluer. L’objectif était d’extraire du pétrole aux moindres frais.[1] »
- Ce n’est qu’un article de presse, rétorque sûr de lui le gros voisin. Ce n’est qu’une exception.
- Alors ceci vous convaincra peut-être, continue le vieux.
Et il lit « Selon le patron d'Exxon Mobil Pipeline Co., Gary Pruessing, aucun dommage à la faune et la flore locales n'ont pu être observés, mais des médias locaux ont commencé à diffuser des photos d'oiseaux et de tortues d'eaux englués. Le gouverneur du Montana, Brian Schweitzer (démocrate), a qualifié ces déclarations de "stupides", ajoutant qu'il est trop tôt pour évaluer ces dégâts. En 2010, le département fédéral américain des transports avait adressé un avertissement à Exxon : sept violations des règles de sécurité avaient été notées sur le pipeline accidenté. La société avait répondu à cet avertissement et le dossier clôt.[2] »
- Vous voyez bien qu’il n’y a qu’en Equateur qu’ils sévissent.
- Certes, Mais c’est Mobil.
- Parce que vous croyez, s’énerve la plus jeune, que les autres sont des anges, et les pollutions sur le pipeline d’Alaska ou au Nigeria, c’est rien peut-être ?
- Considérons aussi toutes les nouvelles techniques d’extraction de gaz de schiste[3], reprend la rondelette. Des techniques qui ne laissent aucune chance à l’environnement.
- Mais nous avons besoin de ces nouvelles sources d’énergie. Sinon l’économie s’effondrera, assène le blondinet. Notre avenir en dépend.
- Ta passion pour les crocodiles t’aveugle. Ton avenir, à court terme. Satisfaire ta passion pour les chemisettes et les bagnoles « tiugnés » chic. Les trucs qui font que notre société se suicide à petit feu.
Il n’a pas l’air content le blondinet. Il fulmine. Sa passion charnelle va-t-elle y survivre ?
Propos recueillis à droite et à gauche par Denis Marion, entrepreneur sans but lucratif.