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« Bioflop » ou « biotop »

• Mercredi 09/03/2011 • Version imprimable

Des poulets élevés en batterie, des tomates en toute saison, des vergers où l’on exploite des ouvrières immigrées… Oui, mais « bio » ! Ou comment un mouvement lancé par des militants soucieux de défendre la petite paysannerie tout en rejetant les logiques productivistes risque de s’échouer sur les têtes de gondole des supermarchés.

Philippe Baqué dans le Monde Diplomatique

Si le bio était une religion, tous ses prêtres ne seraient pas des saints et ses fidèles, n’en parlons pas.

Certains, à l’image de Pascal, veulent y croire, peut-être pour de mauvaises raisons. « Cela ne peut me faire de tort et ma santé est à ce prix ». Le culte, plutôt que la conviction. Son salut, plutôt que celui de l’humanité. A regarder et écouter les personnes qui assistent à des conférences sur la nourriture bio ou qui fréquentent des enseignes bien estampillées, ces traits égoïstes sont partagés par de nombreux adeptes. Entre une platée de patates bio aéroportées et des pommes terres traditionnelles produites à côté, le choix est vite fait. Les « Canadas » voyageuses ont la cote. Qu’importe que leur bilan environnemental soit finalement inférieur, elles sont bonnes pour ma santé.

La dérive est là, depuis quelques temps. Le bio est devenu un objet de consommation courant et lucratif. Produits lointains, « suremballés », hors saison, plats préparés en portion individuelle, le bio singe la production traditionnelle. Serait-ce un moindre mal, si cela se limitait à cela ? Mais, comme le démontre Philippe Baqué, cela ne se limite pas à cela. Les conditions sociales de production ne cèdent en rien à celles d’une production classique. Et l’emballement est tel, que cela risque de ne pas évoluer dans le bon sens.

Le bio est une affaire de riches dit-on souvent et faussement. Les détracteurs du bio citent régulièrement le coût des denrées pour en faire une rapide condamnation, même si ce coût est plus liée à des habitudes de consommation contre-saison ou des modes de distribution.  Cet argument pourrait ne plus tenir si la production industrielle faisait baisser les prix. Ne serait-ce pas positif ? Oui, mais non.

Penser cela limiterait le bio à ce qu’il ne doit pas être, un simple mode de production. Le bio est plus que cela. Dans ses gènes était inscrit une prise en considération de la production, mais aussi du producteur, du distributeur, de l’environnement, voire d’une façon de penser. L’éthique avait sa place. Il ne serait pas bon que le bio soit génétiquement transformé en un simple et réducteur label, sans pesticide, mais pas sans souffrance. Ne pas se préoccuper de cette évolution conduirait à mettre en péril les structures mises en place. Par exemple, le recrutement pour des AMAP (Associations pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) ou les systèmes de paniers maraîchers, déjà difficile, pourrait être encore plus freiné. Les petites structures maraîchères locales, intéressantes à plus d’un titre, seraient encore plus concurrencées.

Qu’importe, disent certains, c’est du bio et c’est déjà ça. Et bien non, ce n’est pas ça. Le bio ne peut se fonder sur un dumping social ou autres d’ailleurs. Il ne peut s’accommoder d’une vision limitée à des échanges pécuniaires. Il y a et doit avoir derrière une « morale » qui prendrait en considération la manière de produire, de transformer, de transporter, de distribuer. Tout projet bio se doit d’être transparent, ne peut signifier une régression pour le bien social, commun. Il ne peut surtout pas se mener comme un simple projet d’investissement, campagne marketing à l’appui.

Cela n’empêche pas le pragmatisme, mais des balises doivent être respectées. C’est à ce prix que le bio jouera son rôle réel : une incitation à modifier nos modes de consommation, donc de pensée.

Denis MARION
Entrepreneur sans buts lucratifs