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Au piquet!

• Mercredi 24/11/2010 • Version imprimable

J’en avais des sujets à traiter pour cette chronique : les regards soupçonneux de certains Français et leur goût pour des univers carcéraux, des contournements routiers qui avancent, le nombre d’espèces qui recule. C’est pourtant un simple fait divers qui a gagné la coupe, une simple histoire de poteaux baladeurs, migrateurs. Des poteaux, que dis-je ? Des piquets, des potelets, de la récupération. Les achèterait-on neuf qu’il en couterait un euro pièce, un et demi à tout casser. Cinquante piquets que le menuisier communal avait retaillés en pointe, cinquante piquets que des louveteaux avaient enfoncés dans le sol, à la masse, avec notre aide, cinquante piquets pour délimiter une bruyère qu’ils venaient de nettoyer. Ces cinquante piquets se sont envolés dimanche, en pleine journée. Mais les piquets ne voyagent jamais seuls. Une brouette, deux brouettes charitables ont dû leur offrir le voyage, tous frais payés. Un individu a donc longé un terrain de foot, traversé un parking devant une buvette, avec une brouette, sans scrupule, sans gêne.

Pourquoi faire tant de foin pour cinquante bouts de bois sans valeur ?
Sans valeur ? Vous en êtes sûrs ? Cinquante euros, effectivement, ce n’est pas le Pérou. En plus, c’est de la récup’.
Mais bien entendu, ce n’est pas la valeur pécuniaire qui est déterminante, nous sommes ici au niveau du symbole, de l’investissement dans un projet au profit de tous. Des fonctionnaires communaux, des bénévoles d’associations, des enfants de mouvement de jeunesse ont collaboré pour (re)créer une zone naturelle propice aux bruyères. Le sentier, délimité par les piquets, représentait ce passage entre deux mondes qui coexistent : les terrains de foot et la forêt, les lignes de jeu et les courbes des arbres, entre les règles d’un sport et celles de la nature Ils avaient travaillé dur les gamins et gamines pour réaliser cela… sans toujours éviter les coups de marteau sur les doigts. Ils étaient heureux, fiers du résultat.

Dimanche, quelqu’un les a dépouillés. Dépouiller des enfants, dépouiller un quartier, des citoyens, des promeneurs, il faut peut-être ne pas être fainéant pour déterrer ces piquets, mais il faut surtout être stupide, vil, cupide, cynique au mieux pour le faire.

Certains pourraient penser qu’il s’agit de vandalisme, que des jeunes se sont amusés à détruire ce que d’autres avaient construit. Rien de moins sûr. Aucun indice, en tous les cas, ne le démontre sur le lieu.
Je vois plus comme auteur des méfaits, mais c’est ici gratuit, un homme, d’un certain âge, du quartier, peut-être, certainement, un de ceux que l’on surprendrait à jeter ses déchets verts le long d’un chemin ou dans un champ, mais ils le font si discrètement. Un homme, pour qui le bien commun, au lieu d’être celui de tous est celui de chacun. Sans doute est-il bien considéré par ses voisins, un « travailleur » assurément, qui pérore de temps à autre sur les méfaits de la jeunesse, des « étrangers », sur les excès de l’état ou de son patron. Sans doute se plaint-il de l’insécurité, des dangers qui le guettent.

Portrait fantasmé, patchwork d’impressions, de personnages rencontrés, de nous, de moi, qui n’accorderait peut-être à cet événement guère d’intérêt si je n’avais dans les yeux les images de cette fille et de ce garçon qui travaillaient ensemble, cette gamine qui avait les larmes dans les yeux parce qu’elle l’avait malencontreusement frappé la main du petit gars d’un coup de marteau et lui, malgré la douleur, lui, dit : « ça va, ça va, c’est pas grave. ! »
Bon dieu qu’il y en a des cons.


Denis MARION
Entrepreneur sans but lucratif.