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Allez savoir (1)

• Mardi 23/10/2007 • Version imprimable

Allez savoir... (première partie).

« C’est donc une encore plus triste chose que de nos jours, il y ait tant d’informations utiles si mal utilisées. » écrivait Vincent Engel dans une récente chronique. (1)

Les sujets de mes billets me viennent avec l’actualité, la réflexion ou le hasard d’une rencontre. Et le hasard fait parfois bien les choses. Un élément en entraîne un autre, une recherche ouvre une porte, l’espace d’une pensée, et si certaines portes se passent et d’autres se referment, c’est parce que l’on sent, certes parfois confusément, que c’est ou que ce n’est pas ce que l’on cherche pour faire avancer son savoir, confirmant ou infirmant la quête du moment. Peut-on tout savoir, peut-on tout comprendre, tout vérifier ? Impossible ?

Mais on n’enfile pas les informations comme on enfile les perles pour de clinquants colliers de pacotille. On n’enfile pas les couloirs de la « connaissance » en courant, en jetant un œil par les portes ouvertes pour glaner ci et là l’une ou autre considération pour éblouir en public. Il faut prendre le temps de s’arrêter pour regarder au moins le décor de la pièce. Savoir, comprendre, comparer, faire savoir, faire comprendre, rappeler, répéter.
Il y a tant de positions à prendre, parce qu’une personne de plus peut, peut-être, faire pencher la balance. Une personne de plus qui sait, c’est un maillon de plus à la chaîne, non pas de celles qui vous attachent, mais de celles qui vous libèrent, des chaînes de solidarité, des chaînes de connaissance. Vous n’êtes plus un consommateur de tout, vous êtes un acteur...vous êtes conscient.

Avoir un avis surtout, peut-être pas sur chaque chose, mais en tous les cas sur les grands enjeux. Se forger une opinion, et ceux qui ont manié le marteau sur l’enclume en savent quelque chose, ne se fait pas sans travail, sans douleur. Mais ne pas l’avoir n’est pas non plus sans conséquence ni douleur plus grande peut-être. Se forger une opinion, fondée non pas sur notre paresse, sur une appartenance à une corporation ou la défense d’un mode vie, mais sur la réflexion, sur la critique, sur une certaine raison imaginative.

« Peut-on tout savoir, peut-on tout comprendre, tout vérifier ? Impossible ? » disais-je en introduction. Mais ne pas essayer serait pire encore. Qu’importe celui qui est en face et l’autorité dont il se pare. A vous d’être critique, intelligemment. Suivre une idée parce qu’elle est partagée par tout le monde n’est pas plus brillant que suivre uniquement celles qui vont à contre-courant. Pendant des décennies, l’impact des activités humaines sur l’environnement et singulièrement sur le climat était donné comme une éventualité farfelue. Maintenant qu’un grand nombre, scientifiques en tête, a accepté la donne, certains en prennent le contre-pied et parlent tant d’escroquerie que d’hystérie.

Je lisais dernièrement dans l’édition du 20 septembre du Courrier International, un dossier intitulé « Le réchauffement n’existe pas, du moins certains le croient ». Les prises de position de certains de ces scientifiques sceptiques sont-elles fondées ? Peuvent-ils avoir raison contre tous ? Pourquoi pas, a priori. Mais quand s’infiltre dans le raisonnement, des germes d’un certain nationalisme, comme les positions d’un professeur japonais qui affirme qu’il ne faut pas se laisser impressionner par les Occidentaux dont les informations sur le climat reposent sur « une science de petite qualité et des hypothèses très aléatoires », ou les accusations de néocolonialisme lancées par un météorologue brésilien, (2) on s’éloigne peut-être de la science pour rentrer dans la politique. Dans le même dossier, l’approche du statisticien danois Lomborg (3) me semblait très « subtile » en ne remettant pas en cause le réchauffement climatique, mais seulement le caractère approprié des mesures contenues dans le Protocole de Kyoto. Pour lui, ce protocole n’apporte aucune solution et d’autres mesures seraient bien plus adéquates. Il met en avant dans son analyse le rôle de la recherche et la rehausse des digues pour nous sauver tous des affres du changement. Mais il semble (vouloir) ignorer l’influence des températures et des modifications climatiques sur la faune et la flore. Il conteste également le fait que l’industrie finance ou ait financé le travail de certains scientifiques sceptiques. Ce n’est pourtant pas pour rien qu’elle a fondé des organismes comme la Coalition sur le climat planétaire ou le Comité d’information sur l’environnement, remettant au goût du jour les techniques de l’industrie cigarettière. S’attaquer au CO², c’est s’attaquer par exemple à la civilisation de la voiture.

Finalement, réchauffement ou pas ? Le principe de précaution voudrait que l’on en tienne compte. Mais je crois surtout que le réchauffement n’est qu’une facette du problème plus vaste que sont les agressions sur l’environnement qui toutes méritent notre attention. Elles ne sont pas nécessairement liées au CO², mais plus fondamentalement à notre manière de fonctionner sur terre. La raréfaction des abeilles est un bel exemple. La commercialisation de produits cancérigènes en est un autre. A ce sujet, se tenait ce samedi 20 octobre le quatrième rassemblement des victimes de l’amiante. Avec ce rassemblement, on revient au début de ma chronique. « C’est donc une encore plus triste chose que de nos jours, il y ait tant d’informations utiles si mal utilisées. » disait Vincent Engel, « C’est donc une encore plus triste chose que de nos jours, il y ait tant d’informations utiles si longtemps tues » ai-je envie d’ajouter. « L’asbeste, un tueur ? On connaissait le danger dès les années 1960 ! On a attendu trente ans avant d’interdire sa fabrication ! Et l’on n’a rien dit - sinon au compte-gouttes - aux ouvriers, aux ingénieurs et aux familles. » (4) Se taire alors que l’on savait, est meurtrier. Continuer à nier comme cela se fait encore, par exemple au Canada, est pire encore, si tant est que cela soit possible.

Dans le dossier du Courrier International, on parlait beaucoup de l’hystérie autour du réchauffement climatique. C’est d’ailleurs une habitude de traiter d’hystérique ceux qui annoncent des problèmes environnementaux. Ce fut le cas avec Rachel Carson qui dans le Printemps silencieux, publié en 1962 mettait en cause le DDT. Ce n’est qu’en 1972, huit ans après sa mort, qu’elle put quitter ses habits de Cassandre : le DDT fut interdit. Ce fut le cas avec les dénonciateurs de l’amiante. Peut-être fut-ce également le cas avec Svante Arrhenius, chimiste suédois, qui aurait associé réchauffement et gaz carbonique dans un livre publié en 1910.

A l’heure actuelle, personne ne m’a encore dit en face que j’étais hystérique, mais je ne serais pas étonné que certains le pensent.

A suivre...

(1) http://www.vincent-engel.com/article.php3 ?id_article=650
(2) L’article qui lui était consacré avait pour titre « L’écologie, c’est souvent du néocolonialisme ».
(3) Présenté également dans un article du Trends-Tendance du 27-11-2007
(4) Xavier Jonckheere dans leVif du 19-10-2007