M. De Wever a tenu d'abord à souligner que la N-VA est composée de gens solidaires. « Mais nous sommes d'avis que cette solidarité ne peut pas ruiner ceux qui en font preuve. Car le but n'est pas que nous nous appauvrissions tous. Bien au contraire, le but est que nous gagnions tous ensemble », a-t-il ajouté en soulignant que l'importance du principe de responsabilité[1].
Ne nous méprenons pas. Je ne tiens pas à faire la chronique d’un accouchement difficile, mais l’occasion est là de réfléchir à cette solidarité. A cette définition, « une dépendance mutuelle entre les êtres humains, existant à l'état naturel et due au besoin qu'ils ont les uns des autres », nos concitoyens préfèrent sans doute celle des débiteurs vis-à-vis de leur créancier. Parce que c’est de pognon dont il s’agit ici, seulement de pognon. I want my money back... Je ne veux pas partager, pas maintenant. Ou alors, à mes conditions. Jugeant sans doute que posséder cet argent, sans remettre en question la manière de le gagner, me donne des droits sur la vie de mon débiteur. Bien entendu, je fais fi du passé et des largesses éventuelles dont j’aurais pu être bénéficiaire et si je pense au futur, c’est uniquement pour protéger mes acquis. (Et je m’englobe dedans).
Tout cela correspond bien à ce « chauvinisme du bien-être » (qu’évoque Mark Hunyadi[2] dans une interview au Vif[3]) « pour le moins étriqué du point de vue moral et politique ». Laissons le voisin crever puisqu’il est responsable de son mal être. Sans doute que si nous interrogions les responsables de la Ligue du Nord en Italie, ils affirmeraient avoir des raisons objectives de revendiquer une « non-solidarité » avec les Italiens du sud. Je me demande comment aurait été qualifié le dénuement des Indiens de Bhopal, victimes d’Union Carbide. Ou comment l’est celui des habitants de Tuvalu, menacés par la montée des eaux, conséquences de nos pollutions. Ou des ouvriers exploités dans les usines que nous avons ouvertes en Asie. N’ont-ils qu’à s’en prendre à eux-mêmes ? Parce que, s’il est facile de compter ses picaillons, il l’est déjà moins de savoir comment on les a gagnés. Honnêtement sans doute… dans une chaîne qui l’est parfois moins. C’est dans ce sens que je comprends les actions des activistes de NO BORDER CAMP[4] qui ont, à tout le moins, le mérite de nous interpeller, peut-être de nous choquer, mais surtout de nous faire réfléchir.
Ce qui est encore plus ardu (mais nécessaire pour convaincre certains) est de déterminer la valeur pécuniaire, puisqu’il faut parler d’argent, de l’investissement dans la solidarité. Nous estimons généralement assez mal la rentabilité de nos impôts par exemple. Nous voyons l’argent qui sort, mais appréhendons difficilement les bénéfices, même les plus tangibles, comme la sécurité sociale. Que dire alors des vertus stabilisatrices de la solidarité ?
Mais la solidarité est aussi autre chose que le fric, autre chose qu’une denrée mesurable, que le partage de ses deniers. Plutôt une manière de vivre, une volonté de partage, une vision éthique, un besoin d’empathie ou un sens des responsabilités. Et cela se niche dans des détails…
Sans doute incompréhensible pour les dirigeants de Lidl qui ont licencié pour faute grave un gérant qui a mis à disposition de ses collaborateurs quelques fruits qui avaient presque atteint leur date limite de consommation et qui ne pouvaient donc plus être vendus. « Il s'agit de 3 oranges, 2 poires et une mangue. Ce n'est pas un vol puisque ces fruits étaient destinés à la poubelle », dénonce Romuald Geury, permanent CNE. [5] Ou moins spectaculaire, un concitoyen, grand utilisateur des sentiers, qui m’affirmait ne pas vouloir défendre le chemin dont je vous parlais la semaine passée parce qu’il ne l’empruntait pas personnellement. Nous mesurons rarement les conséquences de nos actes pour les tiers, même les plus anodins. La dépendance mutuelle est ignorée par l’individualisme, l’égoïsme que nous affichons.
Pourtant, la solidarité enrichit tout simplement celui qui la pratique, mais je crois que les gens comme Bart ne le comprendront pas. L’histoire ne mène pas à tout.
[3] Le Vif/L'Express : Comment percevez-vous les revendications de la Flandre pour un approfondissement du fédéralisme belge ? Comme le combat légitime d'une communauté pour la défense de sa langue, de sa culture, à l'image, par exemple, de la cause québécoise au Canada ? Ou comme l'attitude hégémonique d'une communauté majoritaire sur une minorité ?
Mark Hunyadi : Je la perçois comme une forme de chauvinisme du bien-être, qui mine aussi d'autres petits pays prospères, comme la Suisse par exemple. C'est psychologiquement compréhensible au regard de l'histoire des deux communautés et du contexte général actuel de crise, mais c'est pour le moins étriqué du point de vue moral et politique. On joue l'intérêt (immédiat et apparent) contre la solidarité. Lorsque le Québec voulait se constituer en « société distincte », c'était pour garantir constitutionnellement sa survie linguistique, qui était effectivement menacée par un environnement tentaculairement anglophone. Cela n'avait évidemment rien à voir avec le chauvinisme dont je parle ici. C'est ce même chauvinisme du bien-être qui isole la Suisse au sein de l'Europe et du monde, mais qui, là, n'oppose pas les entités linguistiques entre elles Dans le Vif.