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« Si tu veux ton permis, accélère ! »

• Mardi 11/07/2017 • Version imprimable

« Vite ? Mais je ne roulais pas vite. Bon c’est vrai que si j’avais été moins vite l’accident n’aurait pas eu lieu, mais en roulant moins vite ce serait impossible d’avoir l’examen. En roulant comme ça, l’élève se ferait ajourner...»

Le collectif accueille la famille ,  pour ses chroniques.

L’idée que le conducteur est un être raisonnable, empathique, compréhensif est très forte. Combien de fois n’avons-nous pas entendu des conducteurs sûrs d’eux et de leur civisme. Mais combien de fois aussi, chacun a pu constater dans son chef ou dans celui d’autrui que nous sommes loin de ce chauffeur idéal. 

Une vision égotique

Parce qu’en fait, nous avons développé une vision égotique de la mobilité (en voiture particulièrement) : rien ne peut ralentir notre trajet, même un piéton sur un passage zébré (et de l’immobilité : notre voiture ne peut être trop loin de nous, quitte à nous garer sur le trottoir).

Nous pourrions lister des dizaines de situation qui nous ont choquées, mais que collectivement, nous reproduisons tous. Nous soutenons mordicus qu’il y a des comportements idéaux, des vitesses idéales. Mais est-ce vrai ? Sont-ce des lois naturelles qui régissent la circulation routière ? Quand d’aucuns affirment que rouler à 30 km/h est impossible à tenir est-ce que cela nous est physiquement (humainement) impossible ou simplement culturellement impossible.

Un fait social et un soupçon de virilité

La circulation routière est un fait social, une construction culturelle, qui instaure des (normes de) comportements différents de région en région. « La perception populaire des risques [donc des vitesses] et de ses niveaux acceptables sont construits collectivement, un peu comme le langage et un peu comme le jugement esthétique»[1].

Par le biais de l’éducation routière, « à partir d’analyses d’accidents de la circulation dans le cadre de leçons de conduite, Marc Camiolo, Docteur en sociologie, démontre ainsi que les stéréotypes et les valeurs transmises par la société influent sur l’enseignement de la conduite automobile et de la sécurité routière. Il démontre, par ailleurs, que notre société patriarcale transmet des valeurs de courage et de virilité qui sont présentes dans nos apprentissages[2]. »

La conduite automobile ne serait donc pas uniquement une manière de se déplacer, mais une façon d’affirmer sa virilité. Nous le savions sans doute, mais cela se confirme.

Un paradoxe éthique et l’agressivité d’autrui

Dans ses recherches, Marc Camiolo analyse, dans le cadre des examens de conduite, le rapport à la vitesse, en précisant qu’une théorie de la vitesse excessive fait défaut, tout comme d’une vitesse trop lente et «comme on peut s’y attendre, lorsqu’il manque un fondement concret et commun, il en va de l’appréciation de chacun » [3]. Dans les examens du permis de conduire Marc Camiolo constate que « des erreurs « d’adaptation de la vitesse » sont imputées à des vitesses qualifiées de trop élevées et d’autres trop lentes » et fait intervenir un autre critère : le conducteur ne doit pas gêner selon le code de la route (français) et une vitesse trop basse pourrait gêner les autres conducteurs et constitue un motif d’ajournement.

« Cependant il est d’expérience commune que beaucoup de conducteurs pratiquent l’excès de vitesse, ainsi que la vitesse excessive. Celui qui voudra être respectueux de la limite de vitesse et qui voudra également la réduire quand la situation l’exige, devra nécessairement « gêner » les autres conducteurs habitués à des vitesses excessives. Ce critère présente donc un paradoxe : il faut conduire en respectant les règles, sans gêner ceux qui ne les respectent pas. Il en résulte des situations impossibles pour le conducteur qui pourra nécessairement être pris en défaut, et un pouvoir de décision arbitraire de l’inspecteur qui doit trancher[4]. »

Certains automobilistes ont dès lors des difficultés avec certaines limitations de vitesse, non pas, parce qu’ils les considèrent comme inadéquates, mais simplement parce que l’agressivité de ceux qui ne veulent pas les respecter les insupportent, les tétanisent. D’une certaine façon, c’est la loi du plus fort et le plus faible préfère que l’on réforme la règle, même s’il la trouve juste, plutôt que de subir la pression.

L’ignorance des autres

Les automobilistes invoquent la rationalité pour justifier leurs comportements sans pour autant bien entendu que tous leurs arguments soient parfaitement objectifs. D’autant, que bien souvent, nous n’envisageons la mobilité, en tant que citoyens, qu’en termes de déplacement, sous l’angle de la facilité, du plaisir, voire, dans une moindre mesure, celui de la sécurité (quand bien même l’insécurité routière soit souvent au cœur des débats). Intégrer notre mobilité dans le cadre environnemental d’autrui nous est souvent bien ardu. Ainsi une diminution de la vitesse sur certains axes afin de diminuer le bruit amène souvent la réflexion que les riverains n’avaient pas à s’installer là. 

Le crime acceptable

La circulation automobile tue littéralement, directement ou indirectement. Elle mobilise également énormément d’investissements publics ou privés. Si elle offre une certaine liberté de déplacement, elle n’est pas sans contrainte pour les autres, collectivement ou individuellement. C’est pourquoi, « D’une façon générale, la question qui se pose sera de savoir comment maintenir, au fond, un type de criminalité […] à l’intérieur de limites qui soient socialement et économiquement [nous rajouterions environnementalement] acceptables et autour d’une moyenne qu’on va considérer comme, disons, optimale pour un fonctionnement social donné »[5].

Question provocante, mais bien réelle.

Nous y reviendrons.
 
La famille
 

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