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Relever la tête du guidon ?

• Lundi 15/12/2008 • Version imprimable

L’état et nous.

 

Les actionnaires de Fortis ont été déboutés (puis reboutés)[1], les riverains de Bruxelles-National aussi. Tous se sentent victimes de l’action de l’Etat. En d’autres temps, ce sont les entrepreneurs ou les indépendants qui se plaignent, quand ce ne sont pas de simples citoyens qui estiment que l’on ne fait pas assez pour eux ou de trop pour les autres. La semaine passée, les métallos belges comptaient sur l’état pour leur devoir d’achat tandis que les métallos européens réclamaient à la commission le droit à polluer plus[2].

 

Ce rapport d’amour, haine que l’on entretient avec l’état[3], que l’on vilipende quand nous trouvons qu’il pique nos sous ou  nous escroque et que l’on supplie de nous aider quand c’est la crise, ce rapport ambigu semble si accepté, si acceptable par tous[4]. Une crise de confiance éternelle ?

 

Pourtant, le rôle de l’état est de gouverner, de barrer le bateau et gouverner, c’est prévoir. Mais  il y a, dans une grande mesure, une alliance objective, entre l’Etat et le citoyen pour ne rien anticiper, ou plutôt pour ne rien changer à court terme, continuer à vivre comme avant, même si l’addition se payera, par d’autres peut-être, dans dix, vingt, trente ans. Le nez dans le guidon, le décideur politique ne voit souvent que la prochaine échéance électorale et les clients qu’il faut satisfaire. Le nez dans le guidon, le citoyen, lui, pense au jour même et s’il se projette dans l’avenir, c’est rarement, hors de l’angle pécuniaire, dans celui de ses enfants. Et puis, avec cette crise.

 

La crise.

 

Cette crise pourrait remettre en question notre manière de penser, mais on vous assure que le système n’est pas en cause, qu’il faut seulement l’amender, le réguler. Et donc, à chaque fois, ce sont les mêmes promesses de tout faire pour en éviter une suivante.[5]

 

D’abord, ne soyons pas naïfs. Il n’y a pas que des perdants. Prenons la crise au Japon dans les années 1990, elle n’a pas été catastrophique pour le monde comme le rappelait dans un article Frédéric Clairmont. Ce qu’il nomme le conglomérat Yasuka, une nébuleuse de patrons, de hauts fonctionnaires et de politiciens a pu prendre ses bénéfices avant l’éclatement de la bulle.[6] « … les dettes accumulées pendant les années de spéculation sans frein ne tardent pas à provoquer une crise vertigineuse » lit-on en chapeau de son article. 

Et rebelote pour aujourd’hui, des causes similaires produisent des effets semblables. Trop de pognon, trop de spéculation et trop peu de régulation, mais des gens qui gagnent. BNP Paribas par exemple.

 

Ensuite, les promesses d’établissement de règles tiennent du serment d’ivrognes. Pour la galerie, on fera un nettoyage de printemps, on secouera les tapis et la poussière retombera un peu à côté sans que rien ne soit réellement propre. On tricotera une belle écharpe pour protéger le bon petit investisseur, pour s’empresser de la détricoter plus ou moins rapidement, parce que chacun sait qu’un excès de protection de l’épargnant n’est pas bon pour les affaires. A titre d’exemple, je vous renvoie à cet excellent article de 2005 « L’Union européenne mise aux normes américaines, une comptabilité sur mesure pour les actionnaires »[7] dans lequel son auteur s’attache à démontrer que l’évolution des normes comptables consiste à substituer, à une évaluation juste et prudente des actifs d’une entreprise, la juste valeur de l’actif estimé selon le bon vouloir de l’entreprise en vue de favoriser une politique de dividendes.

 

Pourtant, beaucoup de gens y croient encore à ces mythes du marché éthique et de la concurrence aussi fabuleux[8] que celui du bon sauvage de Rousseau. Ils y trouvent une bonne manière de vivre ensemble. « Si on enlève leurs excès tels que ceux qu'on constate aujourd'hui, la concurrence et le marché sont quand même des modes naturels de vie humaine. » nous assure un haut fonctionnaire (socialiste)[9].

 

Tout sacrifier à la crise financière.

 

Mais bon, si crise économique, anticipée avec joie et entrain par certains (à voir les licenciements préventifs), il y a, est-ce une raison pour tout y sacrifier. Faut-il soigner un cor au pied quand il faudrait prévenir un cancer ? Pourtant aux Etats-Unis, on va puiser dans le budget des technologies avancées économes en énergie pour refinancer des constructeurs automobiles qui ont persisté à produire des automobiles gourmandes en pétrole[10]. Et ce n’est rien de dire que nombre de gouvernements européens verraient bien reculer les exigences de Kyoto. La crise climatique qui approche, et  seuls encore quelques malheureux sceptiques la nient, sera autrement plus douloureuse. Ce n’est pas l’argent que nous aurons accumulé qui pourra nous sauver.

 

Faisons des choix judicieux. S’il y a des investissements à faire, qu’ils se fassent dans des domaines qui nous permettront de faire face aux défis écologiques (et pas seulement au réchauffement climatique). Privilégions les manières de fonctionner qui tiennent compte de ces critères environnementaux (en ce compris le social). Acceptons aussi et surtout de réorienter nos besoins et la source de nos plaisirs.

 

L’état et nous autrement.

 

L’Etat doit jouer un rôle là-dedans. En montrant l’exemple. En étant cohérent. Il est inutile de promouvoir dans le même temps, les transports polluants et le « développement durable ». En étant dirigiste et exigeant en certaines matières. Par exemple, les normes d’émissions de CO² pourraient être rapidement plus drastiques pour les automobiles. Les véhicules qui y satisfont existent chez presque tous les constructeurs. En remettant aussi en cause les dogmes de libéralisation qui montrent leurs limites. La concurrence et la libéralisation n’ont pas toujours fait avancer les choses. Les trains en Grande-Bretagne en sont un bon exemple.

Le citoyen doit lui emboîter le pas (et même le précéder) en acceptant de se remettre en question. Privilégier le « Un peu moins, mais un peu mieux ».

 

Que les deux relèvent la tête de leur guidon et regardent la route. Dans la même direction si possible.

 

Denis MARION

 

P.S.      Tiens, à propos du rapport, citoyens, pouvoir politique, un de mes amis me racontait que dans son village, des citoyens se sont mis en tête de réhabiliter des chemins avec l’aide de la commune. Dernièrement, ce fut l’inauguration des derniers tronçons, avec un discours et un « vin d’honneur ». Tous les membres des «conseil et collège communaux» furent invités, mais seuls trois, sur une vingtaine, furent présents. Peut-être que les autres n’aiment pas quand les citoyens retroussent leurs manches ou que les élections sont encore trop loin.



[1] Aucun actionnaire n’a un mot pour les employés et les clients pour l’instant dans la presse

[2] J’ai envie de dire aux métallos européens, que ce ne sont pas les normes en matière de CO² qui tueront leur industrie. Elle aura été assassinée par d’autres. Elle est d’ailleurs peut-être déjà morte, à tout le moins moribonde, de la délocalisation, de la globalisation, de la spéculation.

[3] Etat recouvrant ici tous les niveaux de pouvoirs.

[4] Sans doute, de nombreux scientifiques se sont-ils penchés sur ce sujet  et en ont tiré certainement de pertinentes conclusions. Pour autant, ce n’est pas pour cela que cela change. Sans doute, de nombreux politiques se sont occupés de bonne gouvernance mais ce n’est pas cela qui améliore la confiance. Sans doute, de nombreux citoyens s’impliquent dans la chose publique, mais est-ce que réellement cela va mieux. Et ce n’est pas en quelques lignes d’une chronique que je vais révolutionner le monde.

[5] Ils sont bien maintenant avec un escroc qui sévit depuis en toute impunité.

[6] Les années 1990 au Japon, ou l’état d’urgence économique, F. F. C., Manière de Voir Nov 2008.

[7] Extrait : On est loin du temps où, en 1861, le procureur Dupin, farouche promoteur du principe de prudence, lançait : « On ne distribue pas des espérances, mais des écus ! » Au terme de trois révolutions, le capitalisme comptable est en passe d’atteindre son stade suprême, à moins que quelques « gêneurs » ne se manifestent. Mais la tâche de ces derniers serait d’autant plus difficile que le « couple » Etats-Unis - IASB est extrêmement puissant. Il dispose d’une solide assise politique et financière, et sa propagande est très affûtée : l’usage répété de mots aussi forts que «juste valeur» ou «information économique», le dénigrement systématique et partial des comptabilités «juridiques» (insulte suprême) et des «vieux modes de gouvernance» de la «vieille Europe» s’apparentent à un véritable matraquage idéologique auquel il est difficile de résister.

Pour qui le veut bien, il est toujours possible, à l’instar des gratteurs de palimpseste, de voir, sous l’euphémisme de la prétendue « meilleure information », la sordide réalité de la tonte des dividendes ! 

[8] Au sens littéraire du terme.

[9] Source lepan.be

[10] Le désaccord entre démocrates et républicains sur la source des fonds destinés au plan de sauvetage de l’automobile a été levé ce week-end. Les démocrates ont fait un pas vers les républicains qui veulent puiser dans un fonds de 25 milliards de dollars voté en septembre pour mettre au point des « technologies avancées », économes en énergie. Les démocrates souhaitaient eux puiser dans les fonds du plan de recapitalisation des banques de 700 milliards de dollars, ce à quoi les républicains et la Maison Blanche s’opposaient. « Je pense que c’est un prêt relais vers nulle part », a estimé dimanche sur Fox le sénateur républicain Richard Shelby.

Source lesoir.be