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Du Tiers-Etat au Tiers-Monde

• Dimanche 03/02/2008 • Version imprimable

Article de Vincent Engel.


Du temps de l’Ancien Régime, deux mondes cohabitaient, séparés par une barrière infranchissable quoique partiellement transparente. La noblesse et le clergé, d’un côté, qui vivaient sur le dos du peuple, de l’autre. L’argent et les pouvoirs (temporel et spirituel); le travail. Le slogan “Travailler plus pour gagner plus” était déjà d’actualité, mais les gains n’allaient pas aux travailleurs.
Ensuite, la bourgeoisie s’est développée, suivie par la classe moyenne. Le droit au travail et à sa juste rémunération. La démocratie.
Et puis...
Aujourd’hui, deux mondes cohabitent, séparés par une barrière infranchissable quoi partiellement transparente. Un miroir sans tain, lisse comme une couverture de magazine ou une publicité. Au lendemain du Tsunami, la une de Match titrait : “Une victime sur trois est un enfant”, tandis que le dos du journal présentait une pub pleine page pour Disneyland : “Ran plan plan, c’est gratuit pour les enfants”. Entre les deux, cinquante pages d’articles ? Non. Un monde. Un fossé. Il porte un nom, dont le sens est en train de changer diamétralement : la communication. Ou plutôt, la “com’”. La “comme”.
Deux mondes, dont l’un aimerait être “comme” l’autre : friqué, insouciant, dans le torrent d’un progrès incessant, de la “croissance” reine et infinie. Celui des enfants de la bourse qui jouent avec des milliards sans paraître savoir que chaque goutte de ces fortunes indécentes représente le travail d’un homme ou d’une femme de “l’autre” monde. Celui des politiciens qui gouvernent par notes et rapports interposés, et dont les actes sont des shows glamours retransmis par youTube. Un monde dont la “com’” se soucie peu de cohérence : en quelques heures, le krach succède à l’euphorie, qui revient le lendemain ; la crise politique insurmontable est surmontée, le scandale inacceptable est accepté, passé par pertes et profits.
Dans l’autre monde - qui, comme dans l’Ancien Régime, travaille pour faire vivre et enrichir le premier et justifier son pouvoir -, on regarde, dans le meilleur des cas, son pouvoir d’achat s’effriter, sa liberté se limiter aux achats, pour autant qu’on obtienne un crédit. Ou on subit les épidémies, les guerres civiles, les famines.
Le virtuel et le réel ?
Ce qui est réel, c’est que ce fossé nous conduit tout droit vers une dictature. A l’instar du fascisme et du nazisme, celle-ci prendra le pouvoir en utilisant la démocratie. A leur différence, elle réussira le prodige de continuer à faire croire qu’elle est une démocratie, de surcroît “écologique”, puisque chacun y sera libre de dépenser tout l’argent qu’il gagne, s’il en gagne. Libre de rêver aux eldorados interdits. Libre de regarder les plus pauvres se faire enfermer, puis rapatrier pour mourir loin des caméras.