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Darwin et nous.

• Lundi 09/02/2009 • Version imprimable

Comme il naît beaucoup plus d’individus de chaque espèce qu’il n’en peut survivre ; comme, en conséquence, la lutte pour l’existence se renouvelle à chaque instant, il s’ensuit que tout être qui varie quelque peu que ce soit de façon qui lui est profitable a une plus grande chance de survivre ; cet être est ainsi l’objet d’une sélection naturelle. En vertu du principe si puissant de l’hérédité, toute variété objet de la sélection tendra à propager sa nouvelle forme modifiée. (Source)
 
Nous « fêtons » cette année, mes agneaux, le deux centième anniversaire de la naissance de Charles Darwin ? Le pauvre Charles, si profondément méconnu, dont le vulgum et ceux qui s'en croient supérieurs n'ont retenu de sa théorie de l'évolution que «le plus fort gagne» et «le monde appartient aux meilleurs», sans que personne ne sache ce qui les caractérise.
Et, depuis qu'au dix-neuvième siècle, un « intellectuel » portant un nom de fringue (Herbert Spencer) a interprété cette théorie par la « sélection des plus aptes », on nous bassine avec des versions plus ou moins édulcorées du darwinisme social, imposture intellectuelle qui justifie toutes les inégalités.
 
Comment pourrions-nous croire, mes agneaux, que tout cela est culturel, alors que l'on nous soutient que c'est naturel, que c'est dans l'ordre des choses, pour nous faire accepter tout, même l'asservissement, le nôtre ou celui d'autrui ? La compétition et la concurrence en sont les filles légitimes. Il nous faut nous battre pour être le premier en un royaume, mais sans savoir si ce royaume vaut le combat. Ou, à défaut d'être le premier, il faut à tout le moins écraser le voisin avant qu'il ne nous en foute une.  Alors, bon an mal an, mes agneaux, nous acceptons cela. Beaucoup d’entre nous jugent qu’ils ne sont d’ailleurs pas trop mal placés et trouvent dans cette vague idée du darwinisme social un argument pour justifier leur manière de penser et de vivre.
 
Et dieu sait que ceux qui se croient les plus aptes à mener les destinées du monde ou à être au sommet de la pyramide sont tout aussi enclins à croire au père Noël, aux légendes diverses, parfois parmi les plus répugnantes. J’en avais, il y a quelques semaines après Sarah Palin, aussi prosélyte qu’un Taliban, mais beaucoup plus pollueuse, qui croyait dur comme fer que le pied de l’homme et la patte du dinosaure avaient foulé les mêmes chemins. Je pourrais en avoir après les clients de monsieur Madoff (ou mad & off, ou made off) à qui on proposait des taux « mirifiques » à condition de ne poser aucune question et qui se sont laissé prendre.  Je pourrais en avoir après ces évêques négationnistes, heureusement peu désireux de se reproduire physiquement, avec lesquels le pape veut se réconcilier.[1]
 
Serait-il illusoire d’en finir avec ce paradigme culturel ? Darwin n’a pas parlé, que je sache, du plus fort mais du mieux adapté à son environnement pour justifier de la survie d’un individu, sans pour autant transposer cela à l’organisation sociale humaine. Cessons de croire que nous devons faire de ce monde une jungle à peine domptée par des règles souvent détournées. Cessons de croire à cette nécessité d’un combat perpétuel.
 
Ne faut-il pas combattre cette idée qu’un seul système alliant compétitivité, croissance, libéralisme économique et consommation, est efficace ? Les événements récents ont montré que les prédateurs, individualistes, parfois arrogants[2], avaient besoin de la mutuelle des citoyens pour sauver leurs billes. Parce que, si sans cette intervention, le système sombrait, n’est-ce pas la preuve par l’absurde que la coopération est autant (si pas plus nécessaire) que la compétition pour la survie de l’espèce.
Il ne serait donc pas illusoire de (re)proposer certaines choses simples comme l’entraide[3] la compréhension, l’empathie, le respect ?  
 
En d’autres termes, mes agneaux, pensons autrement. Une main tendue vaut mieux qu’une baffe dans la gueule.
 
Denis MARION.
 

[1] Je pourrais aussi en avoir après ceux qui ont privatisé notre poste et qui se retrouve avec 49,9% des parts aux mains d’un fonds d’investissement, prêt sans doute à revendre au plus offrant de nos voisins et ce sera bonjour les économies d’échelle.
[3] L'entraide, un facteur de l'évolution. C'est ainsi qu'elle sera développée, en 1902, par Pierre Kropotkine dans son livre L'Entraide : Un facteur de l'évolution une critique claire vis-à-vis du darwinisme social. Dans cet ouvrage, l’écrivain russe répond, spécifiquement, aux théories de Thomas H. Huxley publiées dans La Lutte pour l'existence dans la société humaine en 1888. Kropotkine, sans nier la théorie de l'évolution de Darwin, y précise que les mieux adaptées ne sont pas nécessairement les plus agressives, mais peuvent être les plus sociales et solidaires. Il fournit des exemples empiriques du règne animal, ainsi que de ce qu'il appelle les « Sauvages », les « Barbares », les villes médiévales, ainsi que le temps présent. Kropotkine ne nie pas non plus l'existence de compétition, mais pense que la compétition est loin de constituer le seul facteur de l'évolution, et que l'évolution progressiste est plutôt due à la socialisation et à l'entraide mutuelle.