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Chroniques d’été : un ringard, remueur de choses.

• Jeudi 26/08/2010 • Version imprimable

Une série de chroniques construites sur des propos recueillis ces derniers mois..
 
Un champ de bleuets (faux) et de coquelicots (vrais), une brise douce et l’ombre d’un pommier sauvage, une légère odeur de tabac douceâtre…
 
Une jeune femme en pantalon bouffant, arc-en-ciel, dit en pouffant « Je viens de signer une pétition pour sauver la chronique quotidienne de Paul Hermant sur la RTBF. Moi aussi, répond sa voisine plus courtement mais sobrement vêtue. »
-          Pourquoi faut-il toujours que ces moments de poésie disparaissent, reprend la première.
-          Parce que c’est ringard, s’exprime le petit gros
-          Ringard, s’étonnent les deux femmes.
-          Ringard, selon une journaliste du Soir, je précise.
-          Merde, je suis une ringarde, s’inquiète faussement la courtement vêtue en tirant un taf.
-          Selon ce que j’ai lu, elle, ou ses amis, lui reproche d’être arriviste, poujadiste, donneur de leçons, poursuit le gros en reprenant le pétard.
-          C’est quoi ce délire, s’étonne sans pouffer le pantalon bouffant. J’aime donner des leçons. Quand une bobonne sort son gosse côté rue quand je passe en vélo, je ne m’interdis pas de la traiter d’idiote, poliment. Je ne dis pas grosse conne.
-          Poujadiste aussi, dit la seconde. Mais il n’est pas politique. Arriviste, avec son discours ? Purée. Il y en a qui sont frustrés.
-          En fait, reprend le gros, elle voudrait que Matin Première devienne moins institutionnelle, moins politique, moins « ronflante ».
-          Peut-être qu’elle ne comprend pas tous les mots ? demande l’humoriste de service.
-          Elle fait aussi le parallèle avec Blabla.
-          Blabla, comme blablater ?
-          Blabla, comme l’émission enfantine, interviens-je dans le débat. Et qu’est-ce qu’elle en dit ?
-          Que les gosses trouvent cela soi-disant nul.
-          Et quelle daube, ils aiment ? demande l’humoriste. Perso, je trouve qu’une télévision n’est pas là pour bourrer les mômes avec des conneries, mais avec des programmes un minimum de sens.
-          T’as raison. Merde, je ne suis pas une mère la pudeur, mais les trucs véhiculés par certaines émissions pour gosses m’énervent. En plus, pour Blabla, j’ai lu que c’était pour foutre de la pub en plus. Faut-il au nom de je ne sais quel principe toujours suivre les penchants des "gens"? Les gosses n'aiment plus marcher, faut-il accepter qu'ils deviennent culs de jatte? Ils préfèrent bouffer Quick. Donnons-leur cela à bouffer jusqu’à ce que couic s’en suive, s’énerve, en croisant ses jolies cuisses, courtement vêtue, élevée au bio végétarien.
-          Tout cela me laisse perplexe, dis-je. Je revendique cette ringardise... J'aime ces chroniques soi-disant nulles, vieillottes, ... Elles sont, à tout le moins, bien écrites, bien dites et bien pensées. Que l'on donne des leçons, mais oui. Le monde a besoin de coup de pieds au cul, fussent-ils feutrés et administrés avec politesse. Je les donne avec moins de talent et de délicatesse dans mes chroniques personnelles, mais j'estime avoir le droit de les donner. Accusez-moi de ringardise. Je m'en délecte.
-          Je suis d’accord avec toi, dit le gros en riant. Elle permet un tant soit peu de rester hors du moule que nous impose le formatage médiatique. Virez la pub. Donnez à penser. « Rendre la tranche moins institutionnelle, moins politique, moins ronflante ». Au nom de quoi? Du penchant du citoyen à se désintéresser de son état. Fourguons-lui des jeux et du pain, mais certainement pas de quoi alimenter son cerveau. C’est ça ?
-          Cela me fait penser à une collègue, s’exclame la première fille. Elle refuse tout contrôle social, estimant que personne n’a à lui dire que faire, que seul un flic, peut-être, mais en même temps, elle se plaint de l’évolution de la société.
-          Je suis d’accord avec elle, répond la seconde, si le contrôle s’exerce sur mes mœurs ou ma manière de vivre. Mais il y a des sujets où l’on peut ou doit dire ce que l’on pense si on désapprouve. Tiens, le gus qui hier virait son cendrier sur le parking, je l’ai quand même traité de salopiau.
-          Ha, oui, se marre le gros. Il en chiait des barres. Surtout qu’il bavait devant toi.
-          Il peut aller se faire voir. Porsche, ça commence comme porcherie. Mais je ne suis pas la seule ici à interpeller mes concitoyens qui s’asseye sur les principes.
-          Peut-être, dis-je, mais tu es quand même la seule qui as voulu ramener une bobonne à son 4x4 pour qu’elle le gare correctement. Et tu n’oublies quand même pas quand tu as voulu passer au-dessus d’une voiture parce qu’elle était garée sur un passage pour piétons.
-          Hé, c’est des vieilles histoires. N’empêche que je me souviens encore de la tête du conducteur qui s’est énervé, surtout que tout le monde s’est mis avec moi.
-          Moi, je trouve, estime pantalon bouffant, qu’à force de fermer sa bouche, on laisse passer des choses qui témoignent d’un irrespect certain pour autrui ou d’une indifférence totale pour sa communauté.
-          En conclusion, rigole le gros, certains d’entre nous sont des anarchistes ringards qui voudraient que le monde se respecte et qui sont prêts à la violence verbale.
-          Violence verbale, quand même pas toujours, lui répond courtement vêtue. Hier, j’ai quand même demandé poliment à monsieur porcherie si sa seigneurie voulait bien ramasser ses détritus. Salopiau n’est venu que plus tard.
-          Alors, pour toi, ce sera double dose de Paul Hermant, conseille l’humoriste. Histoire d’affiner ton vocabulaire.
-          Ho, oui !
 
Pendant ce temps-là, le soleil se couchait sur Nethen. On entendait au loin le son d’une guitare. Sans doute, près d’un feu. Cela doit être ringard cela aussi.
 
Cinq rigolos, autour d’un brasero
Ecoutaient à la radio
Des pubs, le mortel ennui
Et de leur plaisir, un véritable déni.
 
Denis Marion
Entrepreneur sans but lucratif.
 
Ringard: (Métallurgie) Barre de fer qui sert à remuer le charbon ardent, le métal en fusion ou les scories.
On perce avec un ringard le trou du creuset… et le métal s’écoule. — (Gaspard Monge, Description de l’art de fabriquer des canons 1793/94)