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Chroniques d’été : de l’utilité de la tomate carrée.

• Jeudi 19/08/2010 • Version imprimable

Une série de chroniques construites sur des propos recueillis ces derniers mois..
 
« Avez-vous lu cet article dans « L’Avenir » sur les OGM ? » demande la jeune femme à ses voisins de table dans une brasserie bon chic, bon genre.
-          Quel article ? s’enquiert le gros.
-          Celui sur les faucheurs volontaires de vignes OGM.
-          Pourquoi ? Ils n’aiment pas le vin ? s’exclame un quinqua grisonnant, amateur de Bordeaux.
-          Attendez, je vous en lis quelques phases… "Nous avons agi dans la non-violence, à visage découvert. L'argent public finance les OGM, ces essais s'effectuent en plein champs et nous n'en voulons pas", avait déclaré à l'aube Olivier Florent, l'un des faucheurs volontaires. Jean Masson, le président de l'unité de Colmar de l'Inra, a porté plainte. "C'est gravissime pour la recherche. On travaille pour un établissement public et ces malades viennent tout détruire. Ils empêchent la connaissance d'avancer, c'est tout ce qu'ils font", a-t-il dit, atterré. "Ils se prétendent bio mais ils ouvrent tout grand la porte à ce qu'ils rejettent, aux grandes multinationales qui imposent l'utilisation des OGM", a-t-il ajouté
-          Personnellement, je comprends la position du directeur, s’enflamme une femme, genre asparagus citrus. Ils se sont attaqués à son outil de travail.
-          Je trouve aussi, poursuit le quinqua, faisant les yeux doux à l’asparagus. Nous avons besoin de cette recherche pour rester dans le top.
-          Je comprends ce besoin de faire avancer la connaissance, convient la jeune femme. Mais ces essais en plein air sont-ils inoffensifs. Je ne suis pas une spécialiste, mais n’y a-t-il pas un risque ?
Le gros ne dit rien, mais il semble tomber dans un effarement manifeste.
-          Vous avez raison, conférence doctement l’asparagus. Il y a trop de gens qui ne sont pas spécialistes qui se mêlent de ce genre de débat. Il faut faire confiance aux scientifiques et à leur neutralité.
-          il est peut-être temps de vivre avec son temps. Nous ne sommes plus au temps des diligences. L'obscurantisme a encore de belles années devant lui, renforce le quinqua requinqué dans un élan amical.
-          Je ne suis pas d’accord, s’exclame alors un petit monsieur qui jusqu’alors s’était tu. Nous savons bien que l’objectivité est vite balayée par l’argent.
-          Ne seriez-vous pas insultant pour ces scientifiques ?
-          Du tout. Je prends un seul exemple : la grippe H1N1 et les relations entre les conseillers et les firmes pharmaceutiques. Je ne dis pas par là que tous les scientifiques sont malhonnêtes, loin de là, mais des conflits d’intérêts existent bien souvent. Votre directeur a peut-être tout simplement besoin de ces études pour faire fonctionner sa boîte. Ne soyez pas naïve.
-          Je suis certainement moins naïve que tous écolos faucheurs et glandeurs qui refusent le progrès, s’enflamme asparagus.
-          Glandeurs peut-être, lui répond le petit vieux, mais nombreux sont ceux qui ont des études de haut niveau. J’en connais plus d’un qui sont agronomes ou ingénieurs, médecin…
-          Ils se font payer des études, mais le rendent bien mal à la société, s’indigne Mister Quinqua.
-          Je ne crois pas, intervient enfin le gros. Ils exercent à mon sens une vigilance nécessaire.
-          Une vigilance ?
-          Prenez le colza. Les opposants à ces variétés OGM ont régulièrement insisté sur la dissémination dans la nature. Les firmes productrices, certains états, des gens leur ont ri au nez. Mais voilà, ils avaient mille fois raisons. 86 % des plants de colza collectés au bord des routes du Dakota du Nord se sont révélés être porteurs d'au moins un gène conférant une capacité de résistance à un herbicide total. Deux de ces plants revenus à l'état "sauvage" portaient chacun deux gènes de protection contre le Roundup commercialisé par Monsanto, mais aussi contre le glufosinate, un herbicide produit notamment par Bayer. Or un tel colza "double résistance" n'existe pas dans le commerce. Cela signifie que des croisements dans la nature ont "inventé" un nouvel OGM.[1]
-          Allons. Pourquoi s’alarmer ? L’hybridation a toujours été une chose naturelle.
-          Naturelle à un certain point. Le colza peut s'hybrider naturellement avec une dizaine de mauvaises herbes présentes sur le sol américain. Il paraît inévitable que des croisements confèrent à ces indésirables une protection contre les herbicides et le contrôle de ces mauvaises herbes demandera l'utilisation d'une combinaison d'herbicides.
-          Mais c’est aux Etats-Unis, rétorque asparagus.
-          Ben tiens, la reprend le petit monsieur. Cela ne peut pas arriver chez nous peut-être ? Comme naïve, vous vous posez un peu là. Vous devez sans doute être convaincue que les agrocarburants vont remplir le réservoir de votre voiture.
-          Je trouve, intervient la jeune femme, qu’il faut être prudent en ces matières. Ces recherches doivent se tenir en laboratoire, pas en plein champs.
-          Pourquoi croyez-vous que les Haïtiens ont refusé le cadeau de Monsanto de tonnes de semences transgéniques ? Ils ne veulent se faire emporter dans ce tourbillon, continue le gros sur sa lancée.
-          Bien ingrats, je trouve, estime le quinqua.
-          L’expérience d’Indiens ou d’Africains les a amenés à refuser ce cadeau empoisonné, dit le gros
-          Vous avez peur de revenir aux diligences. Mais si vous n’êtes pas vigilants, ce sera un retour à la barbarie ou à une dictature, un monopole sur la nourriture. Respectons le scientifique, mais exerçons notre critique. Ne versons pas dans ce scientisme ou ce techno-scientisme qui devrait nous sauver. Il y a souvent d’autres solutions autres que techniques aux problèmes que nous rencontrons, mais ces solutions vous renverront à vos manières de vivre, à vos égoïsmes, s’énerve maintenant le petit vieux.
-          Calmez-vous, se moque le quinqua. Vous allez nous faire un malaise. Ha, c’est gai, ces conversations avec vous. Toujours dans la sentence ou la morale.
-          Peut-être pour ceux qui n’en ont pas assez.
 
Moi, pendant ce temps-là, je lisais un article sur les centaines de sortes de tomates. C’est franchement joli, toutes ces formes et ces couleurs. Mais aucune n’est carrée pour la ranger rationnellement.

Denis Marion, Entrepreneur sans but lucratif. 
 
 

[1] Entre autres repris dans Le Monde