Les experts affirment que la probabilité de survenue de cette crise était tellement faible - une chance sur quatre millions - qu'elle ne pouvait pas être envisagée.C'est pour eux la seule manière de rendre compte de ce qui se passe avec leurs catégories de raisonnement : cela n'aurait pas dû arriver, disent-ils, il n'y a donc qu'à attendre que ça se termine, et on pourra repartir comme auparavant. Ce mode de raisonnement, fondé sur le « calcul rationnel » prêté aux acteurs, tend à prévaloir dans nos sociétés, de pair avec le règne hégémonique de l'économie. L'ennui, c'est qu'il ignore ce qui fait vivre les sociétés humaines depuis toujours : la politique et l'histoire.
Il ne suffit pas de gérer « sagement » une maison pour croire que l’on prépare l’avenir. Et pourtant, c’est ce que nous faisons. Nous faisons le ménage. Nous voulons un intérieur propre, des enfants bien nourris, des armoires bien remplies. Aujourd’hui certainement. Demain aussi. Mais après-demain, pourra-t-on encore l’assurer ? Ce après quoi nous courrons semble si raisonnable, effectivement confortés dans nos choix par un discours ambiant, si rationnel, si rassurant. Pourquoi faire autrement puisque qu’autrement ne peut pas exister ? Autrement serait enfantin, anarchiste, irréaliste, déraisonnable. De toute façon, l’autrement est inexplicable.
Pourquoi la quasi-totalité des experts n'ont-ils pas vu venir la crise financière ?
Cette cécité ne s'explique ni par l'incompétence ni par la malhonnêteté. Il s'agit de vrais experts, compétents, désintéressés, et qui, pourtant, n'ont rien compris au film. C'est leur mode de pensée et les instruments intellectuels dont ils disposent qui sont en cause. Ceux-ci fonctionnent en vitesse de croisière, mais ils laissent de côté des pans entiers de la réalité, ceux qui sont les plus déterminants dans une situation de crise. Il nous manque toujours une science économique qui saurait que l'économie ne marche pas toute seule, qu'elle n'est qu'un aspect du fonctionnement général des sociétés.
Il n’y a pas que l’histoire, la politique, le social, l’économie. Il y a l’environnement, au risque de choquer, il y a avant tout l’environnement. Quand on s’accroche au discours existant, il y un « nécessaire équilibre » entre l’économie, le social et l’environnement. Mais contrairement, à ce que l’on voudrait nous faire croire, il ne s’agit pas d’équilibrer les trois pour avancer (ou pour survivre). Peut-être, si nous avions choisi une autre voie, il y a quelques décennies que cela serait maintenant possible. Mais les dégâts et les risques sont tels maintenant, que l’environnement devient la matière prioritaire et sa protection nécessite des mesures fortes. Comme je le répète souvent au fil de mes chroniques, ce sont des décisions qui demandent un courage politique et dont l’acceptation par les citoyens dépend de la capacité des élus à fournir des explications et des perspectives.
La crainte du désert économique est réelle parmi nos concitoyens et toute mesure environnementale jugée trop contraignante renforce cette peur. Mais sans mesure, ce désert sera une réalité. Parce que l’on ne bâtit pas une maison sans fondation, on ne peut plus concevoir une activité « économique » sans tenir compte réellement de l’environnement. S’il faut reconvertir des pans entiers de nos activités, c’est maintenant et rapidement qu’il faut lancer le chantier. Au risque de perdre des gens ? Pour en perdre moins plus tard ? La décision sera toujours cruelle. Dans notre schéma de pensée traditionnelle, en cas de guerre, il faut accepter des sacrifices. Nous menons ici une guerre contre le temps, un combat contre la montre. Mais peut-être que cette fois, nous pourrions faire en sorte que ce ne soit pas la « piétaille » qui en paie le prix, mais seulement, les excès de certains.
Le chemin est encore long. Malheureusement quand on nous parle de réformes, elles sont encore avant tout économiques.[4] Et quand le G8 parle de 80% de réduction de gaz à effets de serre, ce n’est que si cela n’oblitère pas la croissance.
Voilà des mois et des années que j'essaye d'augmenter la portée de ma bombe et je n'me suis pas rendu compt' que la seul' chos' qui compt', c'est l'endroit où s'qu'ell' tombe. Y a quéqu'chose qui cloch' là-d'dans, j'y retourne immédiat'ment. Sachant proche le résultat, tous les grands chefs d'Etat lui ont rendu visite. Il les reçut et s'excusa de ce que sa cagna était aussi petite. Mais sitôt qu'ils sont tous entrés, il les a enfermés en disant soyez sages. Et, quand la bombe a explosé, de tous ces personnages, il n'en est rien resté.[5]
[2]http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/511722/l-arrivee-d-ecolo-a-namur-n-enchante-pas-les-patrons.html
[3]http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/marcel-gauchet-l-etat-a-ete-pris-en-otage-par-les-banques_179995.html
[4] http://www.lesoir.be/actualite/belgique/2009-07-08/locde-appelle-belgique-reformes-716685.shtml
http://www.dhnet.be/infos/belgique/article/271898/l-ocde-appelle-la-belgique-aux-reformes.html
[5]Vian, Boris (dir.) (1955). La Java des bombes atomiques.