Ce dimanche 13 janvier, des Français de tous bords, même s’ils sont généralement de tribord, iront manifester contre le mariage « civil » pour tous. Au collectif Calvin & Hobbes, nous sommes heureux que cela soit réglé en Belgique. Si nous nous enlisons trop souvent dans des problèmes communautaires, qui sont essentiellement devenus des problèmes de gros sous, nous avons pu engranger des progrès dans les relations humaines et le rapport à la vie et à la mort.
L’excitation est à son comble dans certains milieux français. Une famille entend-t-on si souvent, est un papa, une maman, des enfants. Rappelons que le mariage n’oblige pas, et c’est heureux, d’avoir des enfants. Et d’avoir des enfants hors mariage est tout autant possible et ne pose généralement plus les mêmes problèmes moraux qu’auparavant et c’est encore plus heureux. Certains invoquent la nature et/ou la dissolution des mœurs, mais que pouvons-nous reprocher à des personnes qui s’engagent par contrat, sinon de s’engager. Parce que le mariage « civil » n’est finalement qu’un contrat, c’est à dire une convention formelle ou informelle, passée entre deux parties ou davantage, ayant pour objet l'établissement d'obligations à la charge ou au bénéfice de chacune de ses parties, repris au Code Civil. Il est nous semble également évident que la définition de la famille est essentiellement culturelle et partant, temporaire et géographiquement circonscrite.
Ainsi…
Une véritable société matriarcale a subsisté jusqu'à nos jours dans des vallées reculées du Yunnan, en Chine, chez les Na. Ignorant l'institution du mariage et la notion même de paternité, pratiquant une sexualité infiniment plus libre que celle de toutes les sociétés patriarcales et consacrant en conséquence plus de temps à l'amour qu'au travail, les Na sont parvenus à résister à la bureaucratie céleste des dynasties impériales et au confucianisme ainsi qu'aux injonctions puritaines de la période maoïste. Mais à partir des années 1990, le contact avec la marchandise moderne et le tourisme de masse est parvenu en quelques années à ruiner les fondements millénaires de leur société et à généraliser dans les jeunes générations le modèle de la famille nucléaire et du couple monogamique. Une remarquable étude anthropologique de la société Na, établie sur le terrain par le docteur Cai Hua, chargé de recherche à l'académie des sciences sociales du Yunnan, puis chercheur associé au CNRS à Paris, a été publiée en 1997 aux Presses universitaires de France (Une société sans père ni mari. Les Na de Chine). Cette étude capitale, qui remet en cause à la fois le dogme de l'universalité du complexe d'Œdipe et le postulat de l'inexistence du matriarcat, donne un fondement historique aux mythes de l'âge d'or et prétend ouvrir, du même coup, une perspective d'émancipation pour toute l'humanité[i].
D’ailleurs, la famille ne se limite pas à « cette communauté de personnes réunies par des liens de parenté ». Que du contraire, elle évolue en partie vers une construction basée sur la volonté des personnes avec des liens solides plus que sur le hasard de la procréation. Ainsi vont en ce sens certains logements « kangourou » ou habitats groupés, ou la notion flamande de la cohabitation légale qui ne se limite pas à deux personnes. N’est-ce d’ailleurs pas le modèle des congrégations religieuses, où l’on s’appelle frère, sœur, père, mère ?
La France va-t-elle vaciller parce que le mariage entre personnes du même sexe est autorisé ? La nature va-t-elle être bouleversée parce des homosexuel(les) élèvent des enfants ? Rien ne permet de le croire. Nous pouvons bien entendu nous poser des questions, en débattre, mais les arguments des « antis » ne semblent pas passer la rampe. Nous pouvons également nous poser des questions sur la procréation médicale assistée et sur son coût… Il est possible de discuter de tout.
Nous croyons cependant que nos sociétés occidentales souffrent d’autres (vrais) maux (et peut-être y succomberont). La violence faite aux femmes ou la persistance d’un modèle machiste en sont des exemples parfaits. Le rejet, le manque d’empathie ou de solidarité nous entraînent vers le fond. La spéculation, l’accumulation excessive attisent le feu.
Heureusement, tous les groupes religieux ne partagent d’ailleurs pas cette opposition virulente. Citons par exemple « Les réseaux du parvis[ii] »
Rappelons aussi qu’aucune parole de Jésus dans l’Evangile ne donne d’indication sur ces problèmes de société : la seule urgence, la seule exigence, c’est l’amour du prochain, signe de l’amour de Dieu. Or l’Eglise catholique de Paris semble plus prompte à ouvrir ses bras et ses locaux aux manifestants du 13 janvier 2013 qu’aux SDF. Et, disant cela, nous tenons à saluer les chrétiens « de base » qui, dans les paroisses ou d’autres lieux, mettent activement et discrètement en œuvre l’amour du prochain le plus démuni[iii].
Que des ministres du culte refusent les sacrements à des personnes qu’ils en jugent indignes est du ressort de leur conscience ou du règlement de leur boutique. Mais il est nécessaire que dans une société moderne chacun soit égal en droit et devoir.
Le collectif Calvin & Hobbes.
[i] http://fr.wikipedia.org/wiki/Matriarcat
Lire aussi:
Les Naxi du nord (région de Yongning) sont connus pour avoir une société matriarcale et matrilinéaire. Les femmes vivent avec leurs frères, et n'ont pas de maris stables. Les hommes rendent visite aux femmes chez elles, la nuit, et les relations sont libres. Les enfants ne connaissent donc que rarement leurs pères, ce qui fait de leur système familial un système matrilinéaire. Pour les Naxi, les caractères héréditaires sont contenus dans les os, et sont transmis par les femmes.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Naxi
Les mères sont les piliers de la société. Seule l'ascendance féminine est prise en compte et la transmission du nom comme des biens est exclusivement féminine. La notion de père n'est pas inexistante (il existe un mot pour « père »), mais elle est très marginale. Les hommes et les femmes ne vivent pas en couple mais chacun dans sa famille d'origine. Les couples d'amoureux se retrouvent discrètement le soir (au domicile de la femme). Le tabou de l'inceste est particulièrement strict, en particulier entre frères et sœurs (qui logent sous le même toit et se partagent les tâches de la maisonnée). Les liaisons se nouent et se dénouent sans contraintes sociales (même si elles s'accompagnent à l'occasion d'une collaboration privilégiée entre les familles concernées, lors des travaux des champs par exemple). Sans mariage ni infidélité, ce système exclut si radicalement la possession que la jalousie en devient honteuse.
Le partage des tâches entre hommes et femmes est réglé avec précision, d'une façon qui varie beaucoup d'une localité à l'autre (les coutumes au bord du lac Lugu ne sont pas exactement les mêmes que dans la plaine de Yongning voisine). Au lac Lugu, les femmes en groupe assurent l'essentiel du travail pour la subsistance quotidienne. Les femmes organisent l'ensemble de la société, les hommes organisent surtout le travail agricole, où plusieurs familles coopèrent, et réalisent les travaux de force comme le labour. Leur autonomie leur permet d'avoir 3 à 4 enfants par femme indépendamment de la politique de contrôle de la population3.
Les enfants sont élevés par les oncles de la mère et éprouvent à leur égard le même type d'affection qu'ils auraient envers leur père. Les femmes sont fières de leur position sociale et en riant, expliquent que les hommes dans la journée doivent se reposer pour être plus vaillants dans leur lit la nuit durant. Certaines femmes disent demeurer attachées au maintien de ce mode de vie car elles estiment ne vivre avec leur compagnon que des moments d'amour et de sentiments partagés sans que les questions pratiques ne s'immiscent dans cette relation. Les aspects matériels, les questions de propriété, les aspects de l'éducation des enfants, tous les sujets dont débattent nécessairement les couples qui vivent ensemble, n'ont qu'une importance secondaire dans la relation entre amants du peuple moso. Il n'y a pas de relations amoureuses ni de mariages arrangés ou forcés. Ils se sont choisis et lorsque l'homme se languit d'une compagne, il va la voir.
[ii] Sous le titre “Réseaux du Parvis”, les groupes signataires ont décidé la mise en réseau d'associations et de groupes chrétiens.
La Fédération a pour but de permettre la liaison et l'action de tous ceux qui veulent des Eglises plus radicalement engagées dans la modernité. Elle se propose de :
- Promouvoir des pratiques démocratiques dans les Eglises et dans la société.
- Exprimer la diversité des visages d'Eglises : pluralisme, coresponsabilité et partenariat femmes hommes,
- Travailler au service de l'Evangile avec les richesses de toutes les Eglises dans un vrai partage œcuménique.
[iii] http://reseaux-parvis.fr/chretiens-en-liberte/reseaux-du-parvis/nos-communiques/498-trop-cest-trop-manif-du-13-janvier-2013