Une série de chroniques construites sur des propos recueillis ces derniers mois..
[Si peu chronique d’été, j’ai dû arracher la plus grosse partie de mes tomates à l’extérieur. Le trop plein de pluie a eu raison de mes soins. Suivez les aventures du potager sur www.grainesdevie-grez-doiceau.be ]
Une table qui a vécu au nombre d’entailles qui la balafrent. Une théière qui a connu des jours meilleurs.
- Que veux-tu dire ? lui demande sa voisine, greluche de « compète ».
- Les négociations gouvernementales, lui dit la blonde. Des gens préoccupés par les détails quand le monde se meurt.
- Tu vises la dépression, ironise un jeune clampin, qui semble trop bien mis, comme la greluche, pour être assis à cette table.
- Elle a raison, bougrement raison, s’énerve un second clampin, mais l’habit ne fait pas le moine. Les priorités sont mal, très mal définies. Certes, l’identité des gens a son importance et est respectable. Mais cela est vrai à tous les niveaux, pour un quartier comme pour un pays, pour un petit groupe comme pour une communauté. Mais tout cela ne doit pas prendre le pas sur les urgences : climat, pollution, changement de mode de pensée.
- Il n’empêche que toutes ces négociations sont importantes pour l’avenir de Bruxelles par exemple, rétorque le premier clampin.
- Peut-être, dit la blonde, mais si la ville ne se réforme pas, les problèmes linguistiques ou les problèmes budgétaires passeront au second plan. Ce sera le fonctionnement même de la ville qui sera remis en question, donc la manière de penser de ses habitants et de ceux qui l’entourent.
- Je suis assez d’accord, dit en se levant un gars un peu plus âgé. »
En tournant autour de la table, il continue : « Il y a un certain nombre d’éléments, probants ou probables, qui justifient une remise en question de nos manières de fonctionner. Il y a des théories plausibles, se basant sur ces éléments, qui proposent des changements de route.
- D’accord, mais vouloir tout remettre en question, c’est la révolution, s’indigne la greluche. C’est laisser des gens souffrir de la violence. Trouvez-vous cela acceptable ?
- Qui vous a dit que c’était une révolution ? La révolution n’est qu’un mouvement en courbe fermée dont le point de retour coïncide avec le point de départ. Il s’agit d’une évolution vers une vie portée plus sur la qualité que la quantité.
- Ha oui, le fameux « moins de bien, plus de lien » siffle-t-elle. Un truc de bobos… ose-t-elle.
- Il est de notoriété que le matériel ne vient souvent que suppléer au manque d’affectif, soutient le second clampin.
- Vous, vous voudriez remettre en question notre confort de vie, remarque le premier.
- Le problème est là et dans nos têtes. C’est quoi le confort de vie ? Jusqu’où cela va-t-il ? L’éducation, la santé sont des éléments sur lesquels tout le monde s’accorde, mais le reste ?» dit le vieux gars en se rasseyant.
La petite blonde dépose sur la table le journal qu’elle était en traine de lire, boit quelques gorgées de tisane et reprend la parole : « Je viens de lire deux articles intéressants. Tout d’abord, sur les Roms et cette obsession en France de renvoyer chez eux des citoyens européens pourtant libres d’aller et venir sans contrainte, ni contrôle. Tout cela, moins par conviction que par jeu politique, pour empêtrer l’opposition dans un débat soit-disant difficile et détourner l’attention des turpitudes de la majorité.
- Mais il faut pourtant s’inquiéter de l’insécurité, s’insurge la greluche.
- Je crois que les patrons des grands groupes cigarettiers ont plus de morts sur la conscience que les assassins que pourraient compter la « communauté » rom, lui assène la blonde
- Peut-être, mais chacun est libre de fumer ou non.
- La liberté est relative au vu des trésors d’ingéniosité marketing dont font preuve ces fabricants. N’a-t-il pas fallu supprimer la pub pour leurs produits pour qu’ils se calment. D’ailleurs, si vous voulez un autre exemple, prenons le patron de BP.
- Discours facile, se moque alors le premier clampin. Les coups pour les patrons, pour ceux qui entreprennent.
- Ai-je dit cela ?
- Non.
- D’ailleurs, votre réflexion cadre parfaitement avec le second article sur le mouvement des « tea parties »[1]. Ces gens combattent aux Etats-Unis soi-disant pour la liberté, contre la loi sur l’assurance-maladie, contre les réglementations sur le CO², pour le conservatisme.
- C’est quand même bien leur droit, réplique la greluche.
- Certes, concède la blonde, mais dans quelle mesure ces combats sont-ils humanistement légitimes ? Dans quelles mesures ne sont-ils pas le résultat d’une information manipulée pour servir uniquement des intérêts financiers ? On cite dans cet article des milliardaires texans, investis dans le pétrole, qui ont tout intérêt que la réglementation leur soit favorable. Obama, pourtant déjà assez laxiste, ne l’est pas suffisamment à leurs yeux. Mais j’aime beaucoup ce que répondent les gens quand on en parle. Je cite « Les frères Koch financent tant d'organisations et campagnes diverses qu’on appelle leur réseau « Kochtopus », rapporte le New Yorker. Au total, ils ont déjà donné plus de 100 millions de dollars aux causes de droite… qui sont aussi souvent celles de leurs entreprises, résume le magazine. Parmi les opposants aux Tea Parties, cela commence à se savoir : « Glenn Beck et tous les simples gens qui le suivent ne font que servir les intérêts de la grande industrie » nous disaient de nombreux critiques, écœurés ce week-end à Washington. Mais les « simples gens » en question refusent obstinément de voir cette évidence : « Ceux qui nous manipulent, c’est le gouvernement, avec Obama à sa tête, répondent-ils. Et s’il y a des riches qui nous soutiennent, tant mieux. C’est la grandeur de l’Amérique que de permettre à chacun de faire fortune… »
- C’est la grandeur de l’Amérique que de permettre à chacun de faire fortune… Je trouve cela une belle phrase, pense tout haut le premier clampin.
- A quel prix ? observe le second. Je serais curieux de connaître l’avis des Inuits ou des habitants de Tuvalu, ou de leurs employés
- Mais il faut créer de la richesse, avant de redistribuer, s’énerve le premier, paraphrasant Dominique Strauss-Kahn.
- Peut-être, mais tout dépend ce que vous mettez dedans.
- Et nous voilà revenu au point de départ, rigole la petite blonde potelée. La richesse de certains et la pauvreté des autres, de la planète aussi. »
Moi pendant ce temps-là, je me disais que s’il y a des têtes bien faites, il y en a encore plus qui sont bien pleines et que beaucoup de ceux qui prétendent défendre la liberté ne le font que pour justifier leurs excès.